Entrevue Alain DOARÉ

La Grande Histoire du Stade Rennais FC a surtout retenu qu’Alain Doaré était l’auteur du tir au but victorieux à Rouen lors de **l’accession à la Division 1 en 1985. Mais se contenter de ce fait d’arme, pour résumer son parcours professionnel serait très réducteur. Aligné à 140 reprises sous le maillot Rouge et Noir, défenseur latéral besogneux, toujours correct mais viril, Alain Doaré a connu les années "yoyo" du Stade Rennais et une reconversion professionnelle surprenante mais passionnante à seulement 27 ans.

• Né le 28 novembre 1963 à Paris
• Premier match : SM Caen - Stade Rennais FC (2-6) du 16 mai 1981
• Dernier match : Stade Rennais FC – Abbeville (2-0) du 21 mai 1988
• 140 matchs joués avec le Stade Rennais FC
• EA Guingamp (1978/1979); Stade Rennais FC (1979 à 1988); Lille OSC (1988 à 1990)

"J’ai signé au Stade Rennais au grand désarroi de Noël Le Graët"

Quel a été ton parcours avant de signer au Stade Rennais FC en 1979 ?

Je suis né à Paris. Mon père était responsable d’une équipe d’usinage dans une société de la région Parisienne. Nous l’avons suivi quand celle-ci s’est implantée en Bretagne à Dinan. Mes parents ont déménagé quand j’avais 3 ou 4 ans. Mes grands-parents paternels, eux, étaient originaires de Pluguffan dans le Finistère. J’ai commencé le foot à Dinan et j’ai joué dans toutes les catégories de jeunes. J’ai été appelé en sélection des Côtes du Nord, puis de l’Ouest et enfin en équipe de France jeunes. C’est lors de ces différentes sélections que j’ai rencontré des futurs joueurs professionnels comme Jacques Linarès, Bruno Marin ou Philippe Lucas.

27 janvier 1982 : Alain Doaré au côté de son ami Jacques Linarès.

J’ai fait tout mon lycée en sport-études à Bréquigny à Rennes avec le fils de Kader Firoud : Eric Firoud, un super mec, toujours à bloc, qui nous poussait tout le temps. C’était le début des sports-études. En parallèle, pour mon année de Seconde, j’avais signé à En Avant Guingamp et je jouais en Cadets Nationaux, avec Noël Le Graët comme Président. Mais je trouvais que la durée des déplacements étaient trop longs : j’habitais Dinan, je faisais mes études à Rennes et je jouais à Guingamp avec des déplacements à travers toute la Bretagne. J’ai seulement fait un an là-bas en jouant même en Division d’Honneur lors de la fin de saison. Le Stade Rennais me suivait depuis longtemps. J’y ai signé en 1979/1980 au grand désarroi de Noël Le Graët qui voulait me garder à tout prix.

Quelles étaient tes caractéristiques de défenseur ?

J’avais un jeu assez rude. J’avais peu de qualités techniques et de potentiel physique. Mais je m’en suis toujours sorti grâce au travail, à mon sérieux et ma hargne.

Comment se sont passées tes premières saisons au SRFC ?

En 1ère et Terminale, j’étais au SRFC. C’était beaucoup plus simple au niveau des distances. Je me suis présenté au bac mais j’ai échoué, ce qui était normal car c’est la période où j’ai commencé les sélections Cadets, Juniors en Equipe de France. J’ai participé aux tournois de Monaco, de Cannes, au Championnat d’Europe. Forcément, je n’avais plus trop la tête aux études. J’ai joué plusieurs saisons en Division 4 puis en Division 3. Je m’entraînais régulièrement avec l’équipe professionnelle qui jouait en Division 2 avec Pierre Garcia comme entraîneur. À partir de juin 1983, je suis partie faire mon service militaire au Bataillon de Joinville (ndlr : unité militaire de l’armée française accueillant des appelés sportifs). Je montais à Joinville en voiture, le lundi matin avec mes amis Lavallois Eric Stefanini et Stéphane Osmond.

Paradoxalement, c’est à cette période que tu as commencé à jouer plus régulièrement…

Mon premier match référence est face au Paris SG en 1983 où l’entraîneur Rennais Jean Vincent m’a propulsé arrière gauche titulaire en Première Division face à la grosse équipe du PSG de Safet Susic, Alain Couriol, Dominique Rocheteau, Luis Fernandez, Dominique Baratelli, Jean-Marc Pilorget. J’avais joué plusieurs bouts de matchs amicaux de début de saison. Cette semaine-là, je suis monté à Joinville comme d’habitude le lundi, mais je n’y suis pas resté longtemps : le club a appelé le Bataillon dès le mardi pour que je rentre en urgence pour m’aligner comme titulaire face au Paris SG le samedi. J’ai fait un bon match et après, j’avais bonne presse, malgré notre classement. C’est à cela que se joue une carrière : quand on te donne ta chance, soit tu la saisis, soit tu ne la saisis pas. Si je ne l’avais pas saisie, je serais retourné en 3ème Division et ma carrière aurait été bâchée. Après ce match, j’ai intégré le groupe professionnel et ai joué 22 matchs consécutifs en professionnel jusqu’à la 35ème journée.

1er Octobre 1983 : Alain Doaré au duel face à Safet Susic.

Comment étais-tu intégré dans le groupe professionnel ?

Je m’entrainais peu avec les professionnels jusqu’à ce que je revienne de l’armée de Joinville. Je côtoyais davantage les joueurs du Centre de Formation ou de l’équipe de Division 3 comme Jean-Michel Garnier, Thierry Robert, Yannick Bajeot, Jean-François Fuselier, Christian Zajaczkowski.

"Nous avons été dernier de Division 1 quasiment toute la saison"

La saison 1983/1984 en Division 1 est un fiasco avec une nouvelle descente en Division 2 pour le club. Comment as-tu vécu cette descente ?

J’étais évidemment déçu de descendre mais content d’avoir commencé à prendre mes marques, à prendre de l’assurance à ce niveau. Collectivement, cela n’a pas fonctionné dès le début du championnat. Nous avons été dernier de Division 1 quasiment toute la saison. Sur le papier, nous avions une équipe expérimentée avec Yannick Stopyra, Udo Horsmann (Champion d’Europe des Clubs Champions avec le Bayern Munich en 1976), Moussa Bezaz, Pierrick Hiard, Dominique Vésir, Farès Bousdira. Mais Yannick Stopyra, qui est devenu mon beau-frère, était tout seul devant. Nous n’avions pas le fonds de jeu pour l’alimenter en bons ballons. L’équipe a eu un mauvais début de championnat avec deux cartons monumentaux contre Bordeaux et Toulouse lors des deux premiers matchs avec 9 buts encaissés.

Nous avons aussi été battus par le FC Nantes en Coupe de France en encaissant 9 buts en deux matchs. Heureusement que nous avions touché le ballon à l’échauffement, car nous ne l’avions pas vu durant les deux matchs. Patrick Brulez, un de nos défenseurs centraux avait dit avant le match que Vahid Halilhodzic, l’avant-centre Nantais, ne toucherait pas le ballon du match. À la fin du match, Jean Vincent, notre entraîneur, nous avait dit que si nous n’avions pas pris le 4ème but au retour, nous aurions pu nous qualifier. Sauf que nous avions perdu (0-2) le match aller, et (7-0), le match retour. Nous étions tous dépités. À Nantes, il y avait une sacrée équipe avec Loïc Amisse, Bruno Baronchelli, Vahid Halilhodzic, Fabrice Poulain, José Touré, Sep Adonkor, Patrice Rio, Maxime Bossis. Il est plus facile de rentrer dans une équipe du haut de tableau avec une ossature et des joueurs qui sont en confiance. A Rennes, ce n’était pas du tout le cas. Nous étions au "charbon" chaque samedi.

19 novembre 1983 : Le Stade Rennais avec Alain Doaré, arrière gauche, s’impose face à l’AS Nancy-Lorraine (2-1), l’une des 8 victoires Rennaises de cette triste saison 1983/84.

Comment s’est passée la saison suivante 1984/1985 ?

Cette saison n’a pas non plus été évidente. De vrais « personnages» comme Oscar Muller, qui était un super mec et un super joueur, ou Patrice Rio étaient arrivés de Nantes. Notre ambition était de remonter immédiatement en Division 1. Notre équipe tenait la route mais nous avons bataillé toute la saison. La D2 était plus facile à jouer que la D1 car il y avait un niveau technique, une intelligence de jeu bien supérieure en D1. En D2, aucune équipe ne nous faisait de cadeau. Nos techniciens, comme Dominique Vésir ou Farès Bousdira, avaient intérêt à lâcher le ballon rapidement car sinon, ils se faisaient démonter. Nous avons été à la lutte jusqu’à la fin du championnat et nous n’avons pas été capables de monter directement. Finalement, nous nous sommes qualifiés pour les Barrages en y croyant. Nous avons battu Saint-Etienne à Geoffroy Guichard dans une ambiance très hostile, puis Mulhouse. Nous avons joué la finale des Barrages contre le FC Rouen, qui évoluait en Division 1, en matchs aller/retour.

"Je n’ai pas joué le match aller des Barrages contre Rouen car c’était le jour de mon mariage"

Pourquoi ne joues-tu pas le match aller des Barrages à Rennes, perdu (0-1) ?

Je n’ai pas joué le match Aller des Barrages contre Rouen car c’était le jour de mon mariage prévu depuis longtemps donc je n’avais pas le choix. Je ne pouvais pas annuler.

Raconte-nous ce match de Barrages retour et ce tir au but décisif (10ème tireur).

Nous sommes allés à Rouen, en nous disant que nous n’avions rien à perdre. Nous avons joué sans nous poser de questions en étant juste là pour gagner. Je m’étais très peu entraîné de la semaine du fait de mon mariage. L’exercice des tirs au but était un exercice où je n’étais pas du tout à l’aise. Durant cette séance interminable, il ne restait plus grand monde à devoir tirer, à part Pierrick Hiard (notre gardien), et moi. J’étais le 10ème tireur. Pierrick a arrêté le 10ème tir au but Rouennais d’Alberto, un Argentin qui jouait à Rouen depuis plusieurs années. Je devais donc tirer juste après. Bensoussan, le gardien Rouennais, était un monstre dans les buts (ndlr: 1,92 m). Je me rappelle le voir écarter les bras : c’est là que je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas beaucoup de place pour mettre le ballon dans les buts. Honnêtement, avant d’aller tirer, je me sentais bien, je savais que j’allais marquer. Je n’étais pas stressé par l’attente, j’étais concentré. Je savais où je voulais mettre le ballon : à la droite du gardien, à mi-hauteur au plus près du poteau. En revanche, je comprends très bien que d’autres personnes étaient stressées et inquiètes en me voyant y aller. J’ai tiré exactement là où je voulais et j’ai marqué. Le Stade Rennais est donc monté en Division 1 après mon tir au but. C’est un superbe souvenir dans une superbe ambiance. J’avais tout juste 22 ans.

5 juin 1985 : Ouest-France relate la séance de tirs au but. Alain Doaré offre la Première Division au Stade Rennais.

Comment s’est passé le voyage retour ?

Nous sommes rentrés en bus dans des conditions météorologiques abominables. Après cinq heures de route, nous sommes arrivés à Rennes vers quatre heures du matin. La Route de Lorient était noire de monde. Il y avait des gens partout, c’était incroyable.

6 juin 1985, Route de Lorient vers 4h du matin : 2 000 supporters Rennais accueillent les joueurs Rennais victorieux, de retour de Rouen.

Quels souvenirs gardes-tu de la saison suivante 1985/1986 marquant le retour en Division 1 et une belle 13ème place, synonyme de maintien ?

C’était la suite logique des saisons précédentes. L’objectif était d’arrêter de faire l’ascenseur. À titre personnel, j’espérais passer un palier. Nous avons fait un beau parcours en Coupe de France avec une demi-finale contre l’Olympique de Marseille. Mais nous ne jouions pas dans la même cour que l’OM. Nous avions une belle équipe avec comme moteur Didier Christophe qui était un super mec. Il arrivait à emmener tout le groupe avec lui du fait de son professionnalisme, de sa motivation. À son contact, j’ai beaucoup progressé.

22 avril 1986 : Maillot d’Alain Doaré lors de la demi-finale retour de la Coupe de France opposant le Stade Rennais FC à l’Olympique de Marseille (1-1).

"La saison 1986/1987 a été une déconfiture complète"

Le club se maintient, mais la saison suivante est cauchemardesque avec le départ du Président Dimier et de l’entraîneur Mosca en cours de saison. Quelle était l’ambiance à l’intérieur du club ?

La saison 1986/1987 a été une déconfiture complète. Nous avons eu un cycle avec des défaites et chacun a essayé de faire son numéro pour s’en sortir. Le groupe s’est disloqué rapidement. Je rentrais sur le terrain pour gagner, pour donner le maximum. Mais, plusieurs fois, je n’ai pas été bon, tout comme d'autres joueurs, et sur une saison comme ça, quand tu passes au travers, ça devient compliqué. Je pense aussi que Pierre Mosca était perdu et qu’il n’y avait plus de leader pour emmener le groupe vers le haut. Même Pierrick Hiard doutait. Quand cela ne va pas, tu tombes dans un engrenage qui t’entraîne vers le bas. Et au bout d’un moment, nous commencions à nous bouffer le nez dans l’équipe, à entendre des réflexions.


28 février 1987 : Alain Doaré marqué dans sa chair, au Stade Vélodrome face à l’Olympique de Marseille.

Pourtant, tu décides de rester au Stade Rennais en Division 2 lors de la saison 1987/1988, marquée par l’arrivée, comme entraîneur, de Raymond Kéruzoré. C’est ta dernière saison en Rouge et Noir.

Le club voulait me garder car j’étais encore sous contrat. Je connaissais Raymond car je lui avais déjà astiqué les chevilles lorsqu’il jouait à Guingamp. J’étais un peu dans la catégorie "bourrins", physique alors que le style de Raymond était plutôt technique. Nous avions quelques antécédents tous les deux. Je pense que j’ai fait mon boulot mais j’ai été mis à l’écart dès le début. J’ai démarré avec la 3ème Division. Il m’a redonné ma chance au bout de 9 matchs. A partir de là, je ne suis plus ressorti de l’équipe. Nous avons fini en milieu de tableau de 2ème Division.


7 novembre 1987 : le Stade Rennais FC s’impose face au Stade Quimpérois (3-1), pour la dernière saison d’Alain Doaré avec le maillot Rouge et Noir.

Quels joueurs que tu as côtoyés au Stade Rennais t’ont marqué ?

• Gardien : Pierrick Hiard évidemment.
• Défenseur : Patrice Rio, pour son professionnalisme hors du commun. Il a été capable aussi de me supporter. Il arrivait en costume et moi j’arrivais en jeans. Je lui disais : "Alain Delon vient d’appeler, il veut que tu lui rendes le costume de Borsalino". Il devait en avoir marre de mes blagues. Mais c’est un homme que j’ai toujours apprécié.
• Milieu de terrain : Didier Christophe et Oscar Muller m’ont impressionné. Udo Horsmann est arrivé avec un super bagage. C’était un "Monsieur", respectueux.
• Attaquant : Yannick Stopyra était une sacrée pointure et je ne dis pas cela car c’est mon beau-frère. Uwe Reinders (aussi qui était arrivé en prêt de Bordeaux début 1987) était un super attaquant, mais arrivé au mauvais moment et en fin de carrière mais avec un professionnalisme hors du commun.

Décembre 1984 : Alain Doaré avec l’effectif professionnel du Stade Rennais à la neige.

À l’issue de cette saison décevante, tu quittes Rennes pour Lille. Pourquoi es-tu parti ?

Je pensais rester à Rennes. Mais, le club ne m’a proposé qu’un an de contrat alors que j’avais fait une bonne saison en Division 2. Par l’intermédiaire de Didier Christophe, je suis rentré en contact, tout comme Philippe Barraud, avec le directeur sportif de Lille. Le LOSC cherchait un défenseur avec une bonne mentalité et un encadrement familial stable pour compléter l’effectif. J’ai signé au LOSC comme remplaçant avec le numéro 16 dans le dos. J’étais content car toute ma carrière, j’ai eu des défis comme cela à relever. Cela fermait les bouches à certaines personnes, car je quittais un club de Division 2 pour un club de Division 1.

Comment s’est passée ta première saison au LOSC ?

La première année au LOSC, j’ai eu un entraîneur extraordinaire : Georges Heylens, qui était un ancien défenseur international Belge et qui avait joué à Anderlecht. J’ai énormément progressé avec lui et avec son adjoint Jean-Michel Vandamme. Pourtant, Georges Heylens m’a fait une fois un coup : il m’a fait rentrer puis ressortir lors du même match : c’est la pire des humiliations. Au départ, j’étais là en cas de défaillance de défenseurs titulaires tels qu’Eric Prissette, Christophe Galtier, Jean-Luc Buisine, Victor Da Silva ou Fernando Zappia. Mais dès le premier match, j’étais titulaire à Laval.

Le meilleur joueur avec qui j’ai joué est Erwin Vandenbergh, Soulier d’Or Européen en 1980 avec 39 buts. Un mec extraordinaire. C’est le joueur le plus fort avec qui j'ai évolué. Il était d’une gentillesse incroyable. Il me filait régulièrement ses chaussures de foot car il était sous contrat avec Adidas. Au niveau du travail devant le but, il avait une technique monstrueuse, une intelligence de jeu phénoménale. Il alternait pied droit, pied gauche. Je peux dire que, lors de cette saison 1988/1989, j’ai joué avec un Soulier d’Or et un Champion du Monde (ndlr : Bernard Lama vainqueur du titre suprême en 1998). J’ai joué aussi avec Jocelyn Angloma, Abédi Pelé, Philippe Desmet, Christophe Galtier. Je me suis imposé dans cette équipe incroyable. Le club a fini 8ème, classement jamais atteint depuis très longtemps. J’ai passé une super saison en jouant 27 matchs avec le LOSC.

29 octobre 1988 : Le LOSC avec Alain Doaré s’impose face à l’OGC Nice (2-0).

"Jacques Santini m’a écœuré du football"

Pourquoi as-tu arrêté alors ta carrière professionnelle, très tôt, à 27 ans, à l’issue de la saison 1989/90 ?

La seconde saison, en 1989/1990, s’est très mal passée à cause d’une seule personne : l’entraîneur Jacques Santini. Je m’étais déjà accroché avec lui lorsqu’il entrainait Lisieux. Après cela, Yannick Stopyra, mon beau-frère, l’a eu comme entraîneur à Toulouse durant la fameuse saison où le TFC a rencontré Naples. Plusieurs joueurs, dont lui, ont voulu se séparer de l’entraîneur. Aussi, quand Jacques Santini est arrivé au LOSC, il m’a tout de suite fait payer l’addition de cette histoire Toulousaine et de mes relations familiales. J’ai fait ma préparation sans toucher le ballon, à courir pendant un mois et demi. À l’issue de cette période, il m’a dit que je ne faisais pas parti du groupe. J’ai été écarté avec Jean-Luc Buisine, Eric Prissette et le club a bloqué tout éventuel transfert. Ça a été une saison humiliante. Nous nous entraînions deux ou trois fois par jour : un coup avec la 3ème Division, un coup avec le groupe professionnel. Nous ne faisions que nous entraîner. Nous savions très bien que nous ne jouerions pas en professionnel. Nous étions virés de tout, nous étions des pestiférés. Néanmoins, en cours de saison, j’ai quand même rejoué car il y a eu une épidémie de choléra parmi les défenseurs et Santini n’a pas eu le choix. J’ai joué 4 matchs juste avant la trêve où je pense avoir fait des supers matchs. Mais une fois que toute le monde a été guéri, je n’ai plus rejoué. Au terme de cette saison, j’ai arrêté définitivement le football professionnel. Jacques Santini m’a écœuré du football.

Tu n’as pas eu d’autres propositions pour rejouer en professionnel ?

Je ne voulais plus rester à Lille. Nous nous sommes séparés de notre maison à Lille, avons chargé le camion avec nos cartons et sommes partis avec ma femme et mes deux enfants chez mes beaux-parents à Redon. J’ai eu quelques propositions pour retourner jouer en PH dans le Nord. Mais, durant six mois, je n’avais plus la tête à jouer.

"J’ai vu ce que c’était de travailler, d’être payé à la commission et donc de ne pas gagner grand-chose"

Qu’as-tu fait quoi ensuite ?

Je me suis payé une formation de commercial. Je continuais à m’entraîner tout seul au cas où il y ait des essais à faire. J’allais "faire du bois" dans la forêt à côté de chez mes beaux-parents car ça me vidait la tête et me détendait. Au bout de 6 mois, j’ai signé en Division 3 avec le Véloce Vannetais, de mon ami Jacques Linarès, qui m’a dit qu’il me libérerait si un club professionnel se manifestait. Puis je suis parti jouer la saison suivante en DSR au club de Saint-Nazaire. C’est là où j’ai commencé à perdre 3 divisions chaque saison. J’ai commencé à travailler comme commercial chez Rank Xerox, une entreprise d’imprimantes, à la concession locale de Saint-Nazaire, pendant trois ans. C’est là que j’ai démarré ma seconde vie professionnelle. J’ai vu ce que c’était de travailler, d’être payé à la commission et donc de ne pas gagner grand-chose. Puis, j’ai quitté Saint-Nazaire et je suis arrivé à Saint-Méloir-des-Ondes par l’intermédiaire d’un copain. Je suis rentré dans une boîte de produits chimiques qui s’appelle National ChemSur. J’étais responsable de tout le secteur, toujours payé à la commission. C’était dur car je démarrais mon mois avec 0€ de salaire duquel il fallait retrancher les frais liés à mes déplacements. Pour gagner ma croûte, je devais donc faire du chiffre.

Tu as été commercial jusqu’à la retraite ?

Non, j’ai eu une troisième vie professionnelle. J’avais déjà travaillé dans les huîtres avec certains ostréiculteurs du coin. Ça me plaisait. Un jour, j’ai plaqué mon boulot de commercial pour travailler trois mois dans les huîtres. Par la suite, je suis parti travailler dans les moules. En même temps, j’ai passé mes diplômes dans la Marine pour pouvoir conduire les véhicules amphibies. J’avais déjà passé mon permis plaisance.

Au début des années 2000, je suis reparti un an à l’école pour d’obtenir mon brevet de "Capitaine 200" afin de patronner certains chalutiers. Mon patron de l’époque était intéressé par mon diplôme car il venait d’acheter un bulotier. Nous partions alors de Saint-Malo à 22h tous les soirs. Nous devions tirer ou jeter des casiers toute la nuit. À partir d’un certain âge, physiquement ça devenait très compliqué. Ça tirait vraiment beaucoup.

Par la suite, en 2001, j’ai postulé chez Bourbon, dont c’était le tout début, et qui avait une division de petites vedettes de transport de passagers sur les côtes Africaines. Je n’y connaissais rien. Au départ, je n’étais pas très chaud pour partir deux mois en Afrique alors que mes enfants étaient encore jeunes. Je suis parti là-bas en 2001 et 2002. Ça a changé ma vie.

J’ai commencé au Congo. Je transportais des passagers sur des plateformes en mer ou sur des barges. Il n’y avait pas de téléphone, pas d’internet, donc tu donnais de tes nouvelles à la famille, une fois par mois. Le seul moyen de communiquer était d’écrire. Après mes premiers voyages, j’ai failli arrêter car cela était raide. Je faisais des campagnes de quelques mois puis je rentrais chez moi à Cancale.

J’ai commencé sur un 14 mètres. Durant mes 17 ans de carrière, j’ai piloté des 16 mètres, des 18 mètres et j’ai fini sur un 26 mètres. J’ai navigué entre le Congo, le Ghana, le Gabon, le Cameroun. J’ai adoré cette période. Avec mon petit diplôme, j’ai réussi à piloter des bateaux de 26 mètres, comme un officier de la Marine. Etant donné mon âge, j’ai refusé de retourner à l’école pour passer ma 15ème catégorie et passer sur les 32 et 36 mètres.

En fin de carrière, j’ai eu l’opportunité d’aller dans la branche formation pour former les nouveaux pilotes chez Bourbon. Je formais les nouveaux pilotes durant plusieurs semaines et je les validais. Le centre de formation était à Pointe Noire au Congo. Tous les nouveaux pilotes passaient entre mes mains. J’ai arrêté en 2018 et été à la retraite à 55 ans.

Quel regard as-tu sur ta carrière footballistique ?

Hormis la dernière année, je me suis éclaté aussi dans le football. J’ai joué contre des mecs comme Ferreri avec Auxerre et Bordeaux, Papin, Waddle avec Marseille, Susic avec le Paris SG, Glenn Hoddle avec Monaco, Delio Onnis et Albert Emon avec Toulon. Je pense que j’ai fait une bonne carrière compte tenu des qualités physiques et techniques que j’avais.

22 mai 2021 : Alain Doaré, chez lui, à Cancale.

Merci à lui pour ce témoignage.


Entrevue réalisée par mattcharp