Entrevue Daniel RODIGHIERO

Avec 125 buts marqués pour le Stade Rennais, Daniel Rodighiero est le second meilleur buteur de l’histoire des Rouge et Noir. Reconnaissable entre tous sur un terrain avec ses chaussettes systématiquement baissées, "Rodi" a marqué de son empreinte le Stade Rennais UC. Triple buteur lors des deux finales de Coupe de France 1965, il fait partie de l’équipe mythique de l'époque, vainqueur de la Coupe de France et 4ème du Championnat de France (co-meilleur classement du club jusqu’à la saison 2019/2020).

• Né le 20 septembre 1940 à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine)
Premier match : Stade Rennais UC - Racing Club de Strasbourg (1-2) du 30 août 1964
Dernier match : Angoulême - Stade Rennais UC (1-0) du 18 octobre 1970
• 226 matchs joués avec le Stade Rennais UC
• Red Star (1959/1960) ; SM Caen (1960/1961) ; Red Star (1961/1964) Stade Rennais UC (1964/1970) ; US Valenciennes Anzin (1970/1971) ; Stade Lavallois (1972/1976)

"Le Stade Rennais UC représentait toute la Bretagne"

Comment es-tu arrivé au Stade Rennais Université Club (SRUC) en 1964 ?

J’ai débuté au Red Star alors que Jean Prouff y était entraîneur en Division 2. Il m’a pris sous son aile. Le Red Star a été interdit de pratiquer le football professionnel à l’issue de la saison 1959/1960 : soi-disant que le Red Star avait tenté d’acheter Somlay, le gardien de but du FC Nantes. Le Red Star a été exclu du Championnat de D2 et seule l’équipe Amateur a pu jouer en Division d’Honneur la saison suivante.

Je suis alors parti avec Jean Prouff au Stade Malherbe de Caen où nous avons fait 6 mois d’enfer ! Jean Prouff a même essayé de jouer mais physiquement, il ne pouvait plus. Nous nous sommes même retrouvés en 8ème de finale de Coupe de France en battant 3 clubs professionnels avant d’être battu à Rouen par les Girondins de Bordeaux (Ndlr : 5 mars 1961, FC Girondins de Bordeaux – Stade Malherbe de Caen (3-1)).

Après mon expérience à Caen, je suis reparti au Red Star car étant sous contrat avec le Red Star, je n’étais pas autorisé à aller jouer ailleurs. J’y suis resté 4 ans en marquant but sur but. Antoine Cuissard, qui était entraîneur du Stade Rennais UC jusqu’à la saison 1963/1964, est venu me voir jouer à Nice lors d’un match avec l’équipe de France B, l’équipe de France de Deuxième Division, où j’ai fait un malheur. Je lui dois ma venue au Stade Rennais UC. Les discussions avec le SRUC ont commencé mais Antoine Cuissard a été viré et c’est alors Jean Prouff qui a pris le relais. Puisque que je le connaissais déjà, il a confirmé son envie de m’avoir et le transfert a pu se faire.

Comment s’est passée ton arrivée ?

J’ai été transféré au Stade Rennais UC à l’intersaison 1964/1965. Je n’ai pas ressenti de pression particulière. En arrivant en août 1964, j’ai eu une angine et n’ai pas été performant tout de suite. Lors de cette saison, j’ai quand même marqué 20 buts, tout en ratant 4 matchs. Jacky Simon a été meilleur buteur avec 24 buts en jouant plus de matchs que moi.

29 janvier 1967 : Stade Rennais UC – FC Nantes (2-2) Daniel Rodighiero exulte après avoir remis le ballon de la tête vers Loulou Floch qui égalise (79 ‘)

Depuis Paris, comment était perçu le Stade Rennais à l’époque ?

Le Stade Rennais était perçu comme un grand Club, un des meilleurs clubs de France. Le Stade Rennais UC représentait toute la Bretagne. Toute la région soutenait le club. Désormais, ça n’a plus rien à voir, car il y a plusieurs autres clubs en Ligue 1 ou Ligue 2 avec le Stade Brestois, l’En Avant Guingamp et le FC Lorient.

Que représente pour toi d’être encore aujourd’hui, le second meilleur buteur du club avec 125 buts marqués sous les couleurs Rouge et Noir ?

Effectivement, je suis le deuxième meilleur buteur du Stade Rennais, derrière Jean Grumellon (Ndlr : le classement des meilleurs buteurs dans l'histoire du club). Lui, est resté dix ans en jouant des matchs de Division 2, marquant plusieurs doublés, triplés et quadruplés. Moi, j’ai joué uniquement en Division 1 pendant 6 ans : j’ai marqué 98 buts, ce qui est quand même énorme.

"Être le second meilleur buteur de l’histoire du Stade Rennais, ça représente beaucoup pour moi"

Le fait d’être le second meilleur buteur de l’histoire du Stade Rennais, ça représente beaucoup pour moi. En plus, grâce à ce record, je suis présent dans la Galerie des Légendes du Roazhon Park. J’en suis très fier.

Durant tes années Rennaises, quels ont été tes surnoms ?

Au tout début, j’ai été surnommé "RodiZéro" mais cela n’a pas duré longtemps car j’ai commencé à marquer des buts. Après quoi, j’ai été surnommé RodiZorro, puis "Monsieur 20 buts", car j’ai marqué 20 buts durant plusieurs saisons au Stade Rennais (Ndlr : 1965, 1966, 1967). Après j’ai commencé à reculer sur le terrain et donc à moins marquer.

Comment se sont passées tes six saisons et demie au Stade Rennais UC ?

Mes meilleures années footballistiques l’ont été au Stade Rennais UC, même si j’ai aussi passé quatre ans au Red Star. La différence est qu’au Red Star, il n’y avait pas d’enjeu car il n’y avait pas de descente de Division 2 à l’époque. La meilleure année a été la saison 1964/1965. Il y avait une super ambiance, nous n’arrêtions pas de rire.

Debouts : Lamia, Cédolin, Cardiet, Boutet, Lavaud, Brucato, Prouff. Accroupis : Prigent, Ascensio, Rodighiero, Dubaële, Loncle, Pellégrini.

Parmi tes coéquipiers Rennais, quels sont les joueurs qui t’ont marqués ?

Georges Lamia, notre gardien de but quand je suis arrivé, nous permettait d’avoir une sacrée assise. Pour moi, c’était un très bon gardien. J’en ai un super souvenir. Jean-Claude Lavaud, c’était une bête : il n’arrêtait pas de faire l’aller-retour sur son côté. Avec Yves Boutet et Louis Cardiet, nous avions une défense exceptionnelle. Au milieu de terrain, Marcel Loncle était un énorme gaucher, avec une superbe technique. Il avait une main à la place du pied. Giovanni Pellégrini aussi m’a donné beaucoup de caviars tout comme Jean-François Prigent qui était un fantastique ailier de débordement. Avec André Ascensio qui faisait un boulot énorme et Claude Dubaële qui jouait en 10 et moi en 9, nous avions une superbe ligne d’attaque.

As-tu un souvenir particulier de la victoire de Rennes à Nantes en 1964 ? (Ndlr : 22 novembre 1964 : Football Club de Nantes - Stade Rennais Université Club (2-3))

C’était mon premier match officiel contre le FC Nantes. Nous gagnons là-bas 3 buts à 2 et je marque le deuxième but. Rennes n’avait jamais gagné à Nantes en Division 1. Pendant longtemps, cette victoire a été la dernière victoire Rennaise à Nantes (Ndlr : 4 janvier 2006 : FC Nantes – Stade Rennais FC (0-2)).

"Rennes n’a jamais eu une équipe aussi forte qu'en 1964/1965"

Quels souvenirs gardes-tu de la saison 1964/1965 qui fut l’une des meilleures du Stade Rennais ?

Je pense que Rennes n’a jamais eu une équipe aussi forte qu'en 1964/1965. Nous avions une équipe d’enfer ! Si Rennes n’a pas été Champion de France, cette saison-là, c’est parce que nous avons perdu des points précieux en début de championnat. Avec plus de réussite, nous aurions été à la lutte avec le FC Nantes pour le titre et le Stade Rennais UC aurait pu faire le doublé.

14 février 1965 : Stade Rennais UC – Racing Club de Lens (4-3), Daniel Rodighiero à la lutte avec le gardien Lensois.

Tu as été un artisan majeur de la victoire en Coupe de France 1965 avec 11 buts en 7 matchs. Peux-tu nous raconter le parcours en Coupe de France 1965 ?

Je n’ai pas joué le 1er match à Brest où nous nous qualifions contre le Red Star (2-0) car j’avais une élongation. (Ndlr : 17 janvier 1965 : Stade Rennais UC – Red Star (2-0)). Nous rencontrons ensuite le Racing Club de Lens des frères Lech au Parc des Princes. Il y avait plus de 30 000 spectateurs et au moins 15 000 supporters du Stade Rennais dont beaucoup de Bretons de Paris. Nous sommes menés mais après un match spectaculaire, nous nous qualifions (Ndlr : 14 février 1965 : Stade Rennais UC – Racing Club de Lens (4-3)).

En 8ème de finale, nous rencontrons Saint-Quentin à Amiens où je marque 5 buts, Pellégrini 4 et Loncle 1 (Ndlr : 3 mars 1965 : Stade Rennais UC – Olympique de Saint-Quentin (10-0)). Nous rencontrons ensuite l’OGC Nice à Marseille en quart de finale et où je marque un but. Nous gagnons 5 buts à 2 (Ndlr : 4 avril mars 1965 : Stade Rennais UC – OGC Nice). Puis, vint la demi-finale contre l’AS Saint-Etienne au Parc des Princes où nous avons fait un malheur. Nous avons mis 3-0 à la grosse équipe de Saint-Etienne. C’était énorme de se qualifier pour la finale de la Coupe de France. (Ndlr : 30 avril mars 1965 : Stade Rennais UC – AS Saint-Etienne (3-0)).

23 mai 1965 : Stade Rennais UC - Sedan Torcy (2-2). Daniel Rodighiero, et André Ascensio quittent la pelouse du Parc des Princes. La finale sera rejouée quatre jours plus tard.

Tu es décisif lors des deux finales puisque tu marques trois des cinq buts Rennais. Est-ce une fierté ?

Lors de la première finale contre Sedan, nous sommes menés rapidement (0-2). André Ascensio marque avant la mi-temps (44’) et j’égalise pour le (2-2) après 15 minutes en seconde mi-temps (60’). Ce but nous a permis de pouvoir jouer le second match alors nous avions été dominés. (Ndlr : 23 mai 1965 : Stade Rennais UC – Sedan Torcy (2-2)).

Pour la seconde finale, je suis double buteur. Nous sommes menés (0-1) mais nous gagnons en maîtrisant le match (3-1). Je suis encore fier d’avoir été décisif et d'avoir marqué deux buts. Mon 2ème but est sur penalty, mais il fallait le mettre car c’était à la 86ème minute. A 3 buts à 1, nous savions que c’était fini pour Sedan. Ils n’en pouvaient plus. Marcel Loncle a aussi marqué d’une superbe reprise de volée. (Ndlr : 27 mai 1965 : Stade Rennais UC – Sedan Torcy (3-1))

27 mai 1965 : L’équipe du Stade Rennais Université Club fête la victoire de la Coupe de France, ici Yves Boutet, le Dr Blin, Georges Lamia, Claude Dubaële, Daniel Rodighiero, Alain Jubert et Jean Prouff.

Comment s’est passé le déplacement à Strasbourg quelques jours plus tard (Ndlr : 29 mai 1965 : Racing Club de Strasbourg - Stade Rennais Université Club (2-3))?

Quand les clubs professionnels venaient jouer à Strasbourg, ils rendaient visite au siège d’Adidas, où j’ai travaillé par la suite pendant 17 ans. Nous avions mangé de la choucroute avec tout ce qui allait bien avec. Jean Prouff nous avait laissé faire car notre saison était déjà réussie grâce à notre victoire en Coupe de France. Nous gagnons là-bas 3-2 et je marque le 3ème but à la 90ème minute. C’est seulement après ce match que nous sommes rentrés sur Rennes.

"Tous les Rennais étaient dehors"

(Re)voir le documentaire ROUGE Mémoire : Stade Rennais : 1965, À jamais la première.

As-tu été surpris par l’accueil des Rennais à votre retour ?

C’était fou ! Nous nous attendions à être accueillis mais pas avec un accueil comme cela. Le camion sur lequel nous sommes montés, ne pouvait même pas avancer. Tous les Rennais étaient dehors. Il y avait des jeunes, des vieux et même des vieilles dames, du monde partout aux balcons.

30 mai 1965 : Daniel Rodighiero présente fièrement la Coupe de France aux Rennais.

As-tu un souvenir de la double confrontation contre le Dukla Prague au premier tour aller de la Coupe des vainqueurs de Coupe ?

Je m’en souviens très bien. Nous étions tombés sur l’équipe de Josef Masopust, qui a été Ballon d’Or en 1962. Nous avions perdu bêtement là-bas (2-0) et fait match nul à Rennes (0-0) au retour. En Tchécoslovaquie, c’était le rideau de fer à l’époque. Il y avait la Police montée dans les rues dès le début de la nuit. Nous ne sortions pas.

Contre l’AS Saint-Etienne, le 21 décembre 1969 (Ndlr : 21 décembre 1969 : Stade Rennais Université Club – AS Saint-Etienne (1-0)), tu es décisif en marquant un but en toute fin de match qui permet de vaincre le leader invaincu ?

Je m’en rappelle bien. J’ai débordé sur le côté droit, je suis rentré dans la surface de réparation. Georges Carnus, le gardien stéphanois, a cru que j’allais croiser mon tir. Il pensait avoir fermé son premier poteau pour fermer l’angle. Sauf que j’ai réussi à mettre la balle juste entre lui et le poteau. Nous étions heureux car au lieu de nous retrouver dernier avec 4 points de retard sur l’avant dernier en cas de défaite, nous nous sommes retrouvés avec un seul point de retard. Avec cette victoire, nous avons rattrapé cinq clubs. La seconde partie de saison a été nettement meilleure et nous avons pu finir dans le ventre mou à la 14ème place.

21 décembre 1969 : Stade Rennais UC - Saint-Etienne (1-0) – Daniel Rodighiero prend le meilleur sur Gérard Farison et marque le but vainqueur à la 85ème minute.

Comment se passaient les confrontations entre le Red Star et le Stade Rennais ?

Le Red Star est mon club formateur. J’y ai signé ma première licence à 10 ans. Mais quand j’ai joué contre le Red Star avec le maillot du Stade Rennais ou un autre maillot, bien sûr que j’avais en tête que c’était mon club formateur, mais sans plus.

"Je suis parti du Stade Rennais sur un coup de tête et en colère"

Pourquoi es-tu parti en cours de saison 1970/1971 à Valenciennes ?

A la fin de la saison 1968/1969, j’aurais pu être transféré à Monaco mais le Stade Rennais n’a pas voulu. Moi, j’étais partant car Monaco était une grosse équipe. Les dirigeants Bretons (Jean Rohou) m’ont bloqué. Je suis donc resté.

En début de saison 1970/1971, j’ai été blessé. Serge Lenoir m’a alors remplacé en attaque. A mon retour, Jean Prouff ne m’a pas relancé. Je n’ai pas compris, d’autant plus que j’étais titulaire avant ma blessure et que je claquais but sur but. J’ai été relancé plus tard dans un match où c’était très costaud devant moi et ça a été très compliqué. Pour moi, il a fait une erreur et je lui en ai voulu. Pourtant, Jean Prouff était comme un père pour moi. Je suis parti du Stade Rennais sur un coup de tête et en colère en décembre 1970 à Valenciennes. Ça reste toujours un regret d’être parti de cette manière.

Daniel Rodighiero et Jean Prouff en grande discussion dans le vestiaire du Stade de la Route de Lorient le 28 septembre 1968 à l’issue du match nul (1-1) contre le Red Star.

Es-tu fier d’avoir deux sélections en Equipe de France ?

C’est surtout un regret de ne pas avoir été sélectionné davantage en Equipe de France. Je pense que j’aurais pu être sélectionné au moins une quinzaine de fois. J’étais l'un des meilleurs buteurs français pendant plusieurs saisons. Trois entraîneurs se sont succédés : Duguauguez, Domergue et Henri Guérin qui était un ancien joueur et entraîneur du Stade Rennais. Ce dernier ne m’a même pas sélectionné alors que j’étais meilleur buteur, Rennais et que je flambais.

Lors de ta carrière, pourquoi jouais-tu les chaussettes baissées ?

Même quand j’étais petit, je jouais comme ça. J’ai toujours joué les chaussettes baissées. Quand je relevais les chaussettes, j’avais l’impression d’avoir les mollets dans un étau. Tout le monde me reprochait de jouer avec les chaussettes baissées. Mais je n’ai jamais été blessé. La seule blessure que j’ai eue, c’est lors du stage d’entraîneur à la fin de ma carrière. A partir de la saison 1971/1972 à Valenciennes, j’ai été contraint par le règlement de jouer avec les chaussettes remontées.

La rumeur dit que tu as orienté certains jeunes parisiens vers le Stade Rennais FC ?

En fait, je n’ai fait venir qu’un seul joueur au Stade Rennais. C’est Sylvain Wiltord. J’habitais près de Joinville et j’ai appelé son entraîneur. Puis, j’ai contacté le Stade Rennais pour qu’il puisse faire un essai.

L'envers du décor
Daniel Rodighiero m’a reçu durant l’été 2020 dans sa maison en pleine campagne brétilienne, résidence dont il a fait l’acquisition il y a plusieurs décennies pour pouvoir s’éloigner de la vie parisienne et où il vit en toute simplicité avec ses amis. Daniel continue de naviguer régulièrement entre l’Ille-et-Vilaine et Paris car il est encore membre du bureau du Club des Internationaux de Football.

Daniel Rodighiero chez lui à Saint-Christophe de Valains (Ille-et-Vilaine).

Merci à lui pour ce témoignage.


Entrevue réalisée par Mattcharp