Entrevue Fabien LEMOINE

Arrivé au Stade Rennais FC à l'âge de 13 ans, Fabien Lemoine a quitté les Rouge et Noir en août 2011. Le milieu de terrain de l'AS Saint-Etienne a accepté de répondre aux questions de ROUGE Mémoire pour une entrevue touchante et passionnante pour un footballeur exemplaire qui a laissé un excellent souvenir aux supporters sur les bords de la Vilaine. Un grand merci à Fabien Lemoine pour sa disponibilté ce 11 octobre 2012.

"Heureusement que j’ai pu jouer lors de la 2ème partie de saison 2007-2008"

Comment as-tu débarqué dans le football ?

J’ai démarré à l’âge de 6 ans à Saint-Etienne-en-Cogles avec des copains de l’école pour le loisir, avant tout. On se voyait la semaine à l’école et on se retrouvait au foot le week-end. Mon club favori était Manchester United et un peu plus tard quand j’étais adolescent, j’étais fan de Ruud Van Nistelrooj.

Comment ton arrivée au Stade Rennais FC se fait-elle ? Y avait-il d’autres clubs prétendants ?

J’ai fait un stage à Auxerre et les Auxerrois m’ont rappelé pour en faire un deuxième. Sauf qu’il y a eu un problème postal et j’ai reçu la lettre convocation deux jours après la fin de ce stage. Du coup, je n’étais même pas au courant que j’avais la possibilité de poursuivre avec Auxerre. J’ai donc fait un tournoi de niveau international avec le Stade Rennais qui m’a proposé d’intégrer l’équipe des 13 ans. En parallèle, j’ai intégré le pôle de préformation de Ploufragan. Ainsi, j’ai changé d’école et de club en même temps lors de ma signature à Rennes.

Quels étaient les gars de ta promotion au Centre de Formation ?

À Ploufragan, il y avait Romain Delbourg, Johann Bazin, Thomas Cornec, Steven Gueguen, Yoann Ferrier. Que des gars qui ne sont pas parvenus à réussir au haut-niveau même si cela n’est pas passé loin pour certains comme Romain Delbourg notamment du côté du Havre ou Steven Gueguen en Belgique. À Rennes, j’ai retrouvé Johann Bazin, Yoann Ferrier et Romain Delbourg et j’ai découvert Nicolas Techer, Yacine El Jahi. Enfin, en réserve, j’étais avec Lhadji Badiane qui est actuellement à Laval.

Tu es à mi-chemin entre les deux générations vainqueurs de la Gambardella. Que manquait-il à ta génération ?

Je l’ai jouée en 2005 avec la génération 1986 où on se fait sortir par Caen en 8èmes-de-finale. En 2006, on s’est fait éliminer par Bréquigny après un match assez moyen. La génération 1987 avait moins de potentiel et d’individualités que les générations 1986 ou 1988 dans lesquelles il y avait des phénomènes avec des joueurs souvent appelés en équipe de France même s’ils n’ont pas tous confirmé ensuite.

"Ce n’était pas facile d’entendre les supporters scander Didot quand j’étais sur le terrain"

Tu signes ton premier contrat pro au printemps 2007. Comment ça s’est dessiné ?

J’avais su une semaine avant la date limite que le club me faisait une proposition de contrat d’un an plus deux ans en option si jamais je montrais des signes encourageants. Le club avait la mainmise sur la suite des événements me concernant. Si au bout d’un an, le club n’était pas content de moi il me mettait de côté sinon il me proposait les deux ans suivants. C’est une arrivée en pro par la petite porte car en un an, un joueur a très peu de temps pour prouver. Une saison professionnelle sans jamais jouer, c’est comme si je n’avais rien fait donc heureusement que j’ai eu la possibilité de jouer lors de la 2ème partie de saison 2007-2008.

Première apparition dans le groupe à domicile contre Sofia en UEFA le 4 octobre 2007. Comment l’as-tu vécu ?

C’était sympa, car je ne m’y attendais pas forcément. J’avais un peu d’appréhension mais comme le club avait gagné (1-3) à l’aller en Bulgarie, j’avais l’espoir de pouvoir jouer un petit peu si tout se passait bien. J’avais envie de manger tout ce qui pouvait être mangé. C’est dans cette optique que j’ai abordé ce match. Au final, on a perdu (1-2) et je n’ai pas eu le plaisir de rentrer. C’était une bonne expérience et satisfaisant de sentir que j’étais un peu plus concerné dans le groupe que lors du premier mois de compétition.

Que retiens tu de ton premier match et premier but en Coupe de France contre Martigues et premier but le 6 janvier 2008 ?

J’avais un peu de pression en début de match. On avait beaucoup de joueurs d’expérience à cette époque. Tout le monde m’a dit de jouer mon jeu. J’ai fait un début de match timide et, puis, au fil du match, je me suis un peu plus lâché. Au final, ça s’est très bien passé d’autant plus que j’ai marqué mon but pour ce premier match.

À cette époque, tu es en concurrence avec Étienne Didot. Comment tu as vécu cette période où, malgré tous tes mérites, le nom de Didot revenait sans cesse ?

Moi, je jouais donc je ne peux pas dire que je l’ai mal vécu. Ce qui me faisait mal des fois, c’est pendant que je jouais il y avait des fans d’Étienne - qui avait beaucoup fait et beaucoup donné pour le club - je les entendais scander son nom. Cela ne me dérangeait pas parce qu’il est normal que tout le monde ait ses favoris mais c’était un sentiment bizarre. J’ai connu la même situation un peu plus tard où c’était moi qui jouais un peu moins. C’est la concurrence, les choix d’un coach ne sont pas forcément les mêmes avec un autre coach. Étienne le sait comme moi et quand on se voit aujourd’hui lors d’un Toulouse-St-Etienne, il n’y a aucun problème entre nous. J’aurais bien aimé jouer à ses côtés ou à trois milieux mais cela ne s’est jamais présenté… À Rennes, on jouait au même poste et c’était lui ou moi qui débutais donc ce n’était pas facile d’entendre les supporters scander son nom quand j’étais sur le terrain. Parfois, je le prenais contre moi.

Premier but : "je ne suis pas habitué à marquer, je ne savais pas quoi faire"

Premier et dernier but en Ligue 1 avec le Stade Rennais FC contre Strasbourg le 26 avril 2008 (3-0). Que ressens-tu à ce moment-là ?

C’est dans une période où on gagnait beaucoup de matches. On était 13èmes avant de recevoir Marseille en janvier et après on avait fait une fin de saison tonitruante. Contre Strasbourg, on avait pris le match par le bon bout et on menait (1-0). C’est un corner à deux entre Sylvain Marveaux et Jérôme Leroy. "Jé" laisse penser qu’il va centrer et, finalement, il me la met en retrait. En une touche de balle, je prends le ballon du coup de pied, un peu extérieur. Stéphane Cassard, le gardien strasbourgeois, le touche légèrement mais le ballon finit en pleine lucarne. C’était un grand moment de joie mais je ne suis pas habitué à marquer, je ne savais pas quoi faire (rires). Je me rappelle que je me suis mis à courir partout, j’ai glissé et après je finis dans les bras de Jimmy Briand. C’était une très belle soirée avec une victoire (3-0) et ce but qui finalement aura été mon dernier sous le maillot rennais.

En 2008-2009, tu débutes la saison dans la peau d’un titulaire. Comment vis-tu ce changement de statut en passant de celui qui doit prouver à celui qui doit confirmer ?

Au bout de six mois où j’avais beaucoup joué, je ne me suis jamais dit que j’allais être un titulaire indiscutable. Je voulais tout le temps prouver que lorsque j’étais sur le terrain c’était une bonne décision du coach. Je me remets souvent en question et donne sur le terrain autant à l’entraînement qu’en match. C’est ma plus grosse saison depuis le début de ma carrière. J’étais très content d’avoir participé à autant de matches lors de cette grosse saison pour le club avec le record de points en championnat (NDLR : 61 points) et la finale de Coupe de France, qu’on a malheureusement perdue.

Tu te rappelles du déplacement à Simferopol et de cette interminable séance de tirs au but ?

C’était stressant pour un premier tour d’Intertoto. Déjà, on marque chez nous à la dernière minute. Là-bas, on découvre un peu la Coupe d’Europe notamment pour les nombreux jeunes de l’effectif. Dans un pays au bout du monde, on termine la séance de tirs au but au bout de la nuit. Je me souviens que c’est Jérôme Leroy qui marque le penalty vainqueur alors qu’on avait entamé les deuxièmes tireurs. C’était un contexte très particulier et très stressant d’autant plus que moi j’avais loupé mon premier tir et je n’avais pas du tout envie d’en tirer un deuxième. Du coup, j’étais content que ça se finisse !

Après, il y a ce match fou contre Marseille (4-4) !

C’est un des plus gros matches en termes de suspense que j’ai eu à jouer dans ma carrière. On mène 1-0 puis il y a 1-3 à la pause. En deuxième mi-temps, on fait une prestation de folie avec énormément d’occasions et un super-jeu développé. Je me rappelle sur l’engagement à 3-4, Rod Fanni déborde et Bruno Cheyrou marque dans une des meilleures ambiances que j’ai connues Route de Lorient. J’en garde un souvenir très sympa, c’était vraiment un bon moment.

"Malgré le record de points, la finale de Coupe est restée en travers de toutes les gorges"

Puis, une série toute aussi incroyable, de 18 matches sans défaites en Championnat. Comment tu as vécu cette période d’invincibilité ?

Honnêtement, on était très contents de rester dans les trois premiers du classement pendant autant de matches. Voir les matches qui défilent sans jamais perdre, c’était très agréable et ça donnait plein de confiance aux joueurs. Jouer avec cette pression positive de se dire que si on ne prend pas de but, on va continuer à être devant au classement, à être invincibles. Malheureusement, la fin de saison s’est moins bien passée. Malgré ce record de points, la finale de Coupe de France est restée en travers de la gorge de tout le monde. Ce qui fait que dans la tête des gens, cette saison ne reste pas exceptionnelle du fait de cet échec.

Avec trois ans de recul, arrives-tu à expliquer ce retournement de situation en finale contre Guingamp ?

Une finale c’est toujours particulier. On pensait avoir fait le plus dur en ouvrant le score et puis on prend ces deux buts coup sur coup. En fin de match, on n’a jamais réussi à revenir au score. Tout le monde était motivé pour l’emporter mais il arrive souvent que ce ne sont pas les favoris qui gagnent. Il faut aussi rappeler qu’on est tombés sur une belle équipe de Guingamp ce soir-là. La défaite s’explique finalement par notre prestation qui n’était pas à la hauteur.

En 2009-2010, tu es associé à un nouveau milieu avec Yann M’Vila. Comment se passe votre association, quelles sont ses qualités ?

J’ai vécu une très bonne année à ses côtés et j’ai pris beaucoup de plaisir à jouer avec Yann car c’est un joueur très collectif. Il aime toucher beaucoup de ballons, participer au jeu et il joue avec un minimum de touches de balle. Il fait vivre le ballon assez rapidement et c’est ce que j’aime aussi. On s’entendait bien et ça marchait plutôt bien dans cette saison où l’on jouait souvent à trois au milieu.

Une saison qui se termine plutôt mal. Comment l’expliques-tu ?

C’était particulier car on avait beaucoup de joueurs en fin de contrat, d’autres qui avaient des bons de sortie. Je pense que cela explique cette fin de saison en queue de poisson. Une fois ce match à domicile contre Lyon perdu 1-2 alors qu’on était 6e et qu’on pouvait recoller à la 4e place, on a pris un coup derrière la tête et on n’a plus gagné un match sur les 8 derniers. On a donc terminé négativement, en roue libre mais il fallait se servir de cette fin saison pour reconnaître que nous n’avions pas fait les efforts qu’il fallait pour justement essayer d’accrocher au moins une 6e place pour l’honneur à défaut d’Europe. Tout le monde s’est laissé aller. On a perdu beaucoup de matches à domicile et à l’extérieur car on ne méritait pas plus.

Blessure du 14 août 2010 : "au début, je ne voulais plus entendre parler du foot"

Le 14 août 2010 à Nancy. C’est le drame pour toi. Tout a déjà été dit à ce sujet mais que retiens-tu plus que tout et qu’est-ce que cela a changé dans ton approche du foot ?

Un des moments les plus douloureux de ma vie. Même si je ne me rappelle pas de grand-chose par rapport à ce qu’ont vécu mes proches et surtout ma femme. Elle était là du lendemain de l’accident jusqu’au dernier jour à l’hôpital. Pour elle, cela a été un moment très compliqué. C’est la vie, le destin ! Au début, je ne voulais plus entendre parler du foot. Pourtant aujourd’hui, je suis très heureux sur les terrains et je ne me vois pas arrêter de sitôt. C’était une épreuve que j’ai su surmonter avec famille. Je suis fier d’être revenu à mon niveau et dans le club où je suis aujourd’hui. Ce fut un moment douloureux certes, mais il y a plus malheureux que nous…

Après avoir perdu un rein, tu fais ton retour à la compétition le 18 décembre 2010 contre Valenciennes et délivre ce corner décisif pour Kana-Biyik. C’est comme un but marqué pour toi ?

C’est même plus qu’un but ! Comme je l’avais dit après le match, c’est l’un des meilleurs moments de ma carrière, encore plus fort que marquer un but. En termes d’émotions, c’est même le meilleur moment de tous. L’intensité du moment était énorme, c’est pour ça que sur le terrain j’ai un peu craqué. Je ne savais plus trop ce que je faisais, je courais dans tous les sens.

S’il fallait ne garder qu’un seul souvenir de ton passage au SRFC, quel serait-il ?

Il y a ce match pour mon retour à la compétition contre Valenciennes mais pas seulement. Il y a aussi la finale de Coupe de France et le soir de la demi-finale avec la qualification à Grenoble. Mes premières saisons avec les anciens, on avait un groupe de grande qualité et une ambiance de vestiaire exceptionnelle. J’avais un peu peur de ne pas revivre la même ambiance de vestiaires à Saint-Étienne mais finalement c’est ce que j’y ai retrouvé. Je me plais énormément chez les Verts.

Comment se dessine ensuite ton départ ?

Je suis parti le 11 août 2011 de Rennes et j’ai signé à Saint-Étienne le 13 août. Cela s’est fait assez logiquement même si l’année précédente a été compliquée pour tout le monde même si finalement je suis revenu à la compétition beaucoup plus vite que prévu. L’équipe avait bien tourné sans moi et était sur le podium en Championnat en décembre 2010. Des joueurs avaient été performants à mon poste. J’étais revenu avec l’intention de retrouver une place le plus rapidement possible et de redevenir titulaire au bout de quelques mois. Même si j’ai fait quelques matches, je n’ai jamais réussi à retrouver ce statut-là. J’ai donc demandé des explications au club à l’approche de la saison 2011-2012, on m’a fait comprendre que je ne faisais pas partie des premiers choix mais le club voulait me garder pour mes valeurs humaines et mes qualités footballistiques bien que je n‘avais pas retrouvé mon niveau à 100 %.

"Une chose est sûre, je reviendrais en Bretagne après ma carrière"

On m’a demandé de continuer à travailler pour retrouver mon niveau et ma place. Mais j’estimais ne pas avoir trop de temps à perdre non plus. J’ai donc demandé au club de me laisser partir si je trouvais un autre club. On m’a fait comprendre qu’on ne me mettrait pas de bâtons dans les roues. J’ai décidé de quitter le Stade Rennais pour chambouler un peu ma vie et me faire un peu plus violence, retrouver un niveau intéressant et surtout m’éclater sur le terrain. À Rennes, je ne débutais pas la saison avec l’optique de jouer d’emblée, je n’avais pas envie d’attendre six ou huit mois pour retrouver un statut intéressant. Au départ, je devais signer avec Évian où tout était calé au niveau du contrat et de la visite médicale. Le mercato continuait sa route et dans la nuit qui a suivi, j’ai reçu une proposition de l’AS Saint-Étienne. Le projet sportif, le club, les supporters… tout était réuni pour aller là-bas. Je ne regrette pas du tout mon choix et je suis à bloc avec les Verts.

Confrontation contre Rennes le 26 octobre. Comment vous abordez ce match ?

On a fait un début de saison avec les deux premiers matches où l’on passe à travers. D’abord à domicile contre Lille, on n’a pas joué notre jeu puis à Toulouse où on a vraiment fait un match pourri. Du coup, on a beaucoup parlé avec le coach et entre joueurs. On s’est beaucoup remis en question et, aujourd’hui, on est sur le bon chemin même si on a perdu quelques points à domicile contre Reims et Sochaux. Contre les Sochaliens, on mérite de l’emporter malgré qu’on soit réduits à dix après huit minutes de jeu. On est dans une bonne dynamique et on a un bel effectif mais il reste encore des réglages à faire pour réaliser une belle saison.

Si tu avais un dernier mot à adresser aux joueurs et supporters rennais ?

Pour ce qui est des joueurs, l’effectif a beaucoup changé et je n’ai pas passé beaucoup de temps avec eux pour les connaître suffisamment. Durant ma blessure, j’étais moins au centre d’entraînement donc je ne les ai pas beaucoup vus… De plus, ma situation sportive n’était pas très claire donc je n’ai pas forcément pris le temps de découvrir les nouveaux. Je leur souhaite une bonne saison et malgré leur départ compliqué, je vois que cela va mieux depuis quelques matches. J’espère qu’on va les battre lorsqu’ils vont venir à Geoffroy-Guichard. J’ai vécu quatre saisons en pro à Rennes et de nombreuses années de formation. C’est une ville et un club que j’adore ! Peut-être qu’un jour, je reviendrais et ce serait avec plaisir. J’espère que les gens m’ont apprécié et dans quelques années on se reverra. Une chose est sûre, je reviendrais en Bretagne après ma carrière !


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