Entrevue François DENIS

Défenseur emblématique de l'équipe première du Stade Rennais FC de 1987 à 1997, François Denis a reçu ROUGE Mémoire à la Direction des Sports au Palais Saint-Georges à Rennes. De son épopée comme joueur en Rouge et Noir à sa vision de la trajectoire du club après son retrait des terrains, cet ancien stoppeur se livre pour cette entrevue mémoire.

Tout d'abord François Denis un grand merci d'avoir reçu ROUGE Mémoire pour cette entrevue. Ancien défenseur du Stade Rennais FC, que faites vous aujourd'hui ?

Aujourd’hui, je travaille à la Direction des Sports de la ville de Rennes, je suis dans la cellule Unité Événementielle. On s’occupe des manifestations sportives sur la ville de Rennes. Il y a à peu près 180 manifestations à l’année réparties entre trois personnes à la Direction des Sports. C’est un travail très passionnant.

Sur quels types de projets êtes vous encore en relation avec le SRFC ?

Aujourd’hui, j’ai beaucoup de relations avec Loïc LAMBERT que je connais bien et qui est un ami qui s’occupe de la section amateur du Stade Rennais. Autrement, je suis en relation avec le club dans le cadre du travail puisque je m’occupe d’une petite partie de la convention entre le Stade Rennais et la ville de Rennes. Ainsi, je côtoie de temps en temps les dirigeants du Stade Rennais.

Avez-vous toujours un pied dans le football ? Comme joueur ? Entraîneur ?

Jusqu’à cette année, j’étais l’entraîneur des Municipaux de Rennes. J’ai entraîné cette équipe durant 22 ans, j’ai arrêté cette année mais je reste le responsable de la section football. Dans le cadre du travail, je suis à l’origine de l'organisation de tournois de foot dans la ville.

J’ai toujours aimé Karl-Heinz Förster

Vous arrivez au Stade Rennais FC en 1987 en provenance de la Saint-Conwoïon Redon. Comment s'est construit ce début d'histoire avec les Rouge et Noir ?

C’est une drôle d’histoire car j’étais animateur sportif cantonal à Janzé/Retiers et c’était un travail extrascolaire qui m’occupait le soir et ne me permettait plus de m’entraîner à Redon à raison des 3-4 fois par semaine nécessaire pour bien figurer en 3ème division. J’avais alors décidé de signer un contrat amateur avec le Stade Rennais où je connaissais Michel Beaulieu au sein de la section amateur. Je suis ensuite parti en vacances et arrivé au mois de juillet, j’ai fait un entraînement avec la DSR. Raymond Kéruzoré arrivait tout juste comme entraîneur du club et avait fait le ménage en arrivant. L’effectif professionnel était donc juste en nombre et il m’a téléphoné pour m’entraîner avec eux tous les jeudis. J’ai été surpris car je n’étais qu’un amateur. Après un entraînement le jeudi, j’ai joué le samedi (NDLR : Nancy-Rennes le 1er août 1987) et ne suis plus jamais ressorti de l’équipe. C’était vraiment un pur hasard, j’avais déjà 22 ans. Dix ans de professionnalisme ont suivi !

Aviez vous des modèles dans le football international ? J’ai toujours aimé Karl-Heinz Förster. C’était un défenseur international allemand contre qui j’avais eu la chance de jouer lorsqu’il évoluait à l’OM. C’était le joueur que je préférais à l’époque au poste de défenseur central.

À l'issue de la saison 1993/1994, le SRFC retrouve l'élite. Vous êtes le capitaine de cette équipe, comment abordez vous cet exercice avec une génération prometteuse ?

En 1993/1994, Michel LE MILINAIRE venait d’arriver au poste d’entraîneur, nous étions partis avec beaucoup de jeunes. Avec les montées et les descentes, nous avions une base de joueurs assez solide avec un centre de formation qui commençait à produire de bons éléments. Nous étions partis pour jouer la montée sans peur, c’était l’objectif du club. Il y avait Laurent HUARD, Pierre-Yves ANDRÉ et Sylvain WILTORD, on sentait qu’avec ces jeunes, il y avait un peu plus d’espoir de bien figurer sur le long terme si le club arrivait à les garder assez longtemps.

En défense cette saison là, vous êtes épaulé par Fugier et Carteron sur les flancs mais la stabilité n'est pas de mise à vos côtés en charnière mais aussi dans le but. Quel souvenir gardez vous de cette situation ?

Il y avait Nikolay ILIEV qui avait fait la une car il venait de jouer la Coupe du Monde, il avait 70 sélections et était capitaine de la Bulgarie. On attendait beaucoup de lui et on a été un peu leurré car il s’est blessé dès les premiers matchs avec un gros doute sur l'origine de sa blessure peut-être avant même son arrivée. Au final, il n’a pas joué de la saison alors qu’il devait être le garant de la défense centrale avec son expérience au dessus de la moyenne. Donc, il y a eu des jeunes comme Régis LE BRIS ou Cyril L'HELGOUALC'H mais c’est surtout avec Brian JENSEN que j’ai joué. Un très bon joueur avec un bon état d’esprit. On a aussi joué parfois à 5 derrière avec Patrice CARTERON à gauche, Pascal FUGIER à droite, 2 stoppeurs et un libéro. On alternait sur ces deux schémas tactiques. Pour la concurrence entre Gilles ROUSSET et Pascal ROUSSEAU, tout s’est toujours bien passé. Rousset partait titulaire mais a fait des prestations plus ou moins convaincantes qui ont permis à Rousseau de terminer la saison.

1995/1996 : on sentait que c’était un petit cap de franchi pour le club !

Vous marquez 6 buts cette saison là mais aussi 3 contre votre camp contre Strasbourg, Cannes et le PSG. Vous souvenez vous de ces buts ?

Sur 324 matchs, c’est forcé de marquer contre son camp pour un défenseur central, ce ne sont pas les meilleurs moments mais on en voit tous les week-end. Par contre à l’époque de Didier Notheaux (NDLR : entraîneur du club de 1991 à 1993), nous avions beaucoup travaillé les coups de pied arrêté avec Jocelyn GOURVENNEC. Ensuite, c’est resté un acquis et on s’en est toujours servi. Le jeu de tête était un de mes atouts et m’a permis de marquer ces buts sur phases arrêtées.

En 1995/1996, Rennes créé la surprise en terminant 8ème et en se qualifiant pour l'Intertoto. Racontez nous cette épopée.

Je me souviens que nous avions fait une grosse saison à domicile. On gagnait presque tout à domicile et parfois avec de larges scores. Ainsi, on a terminé 8ème mais j’étais un peu déçu à la fin car je pense que nous aurions pu jouer directement la coupe d’Europe si nous avions battu Nantes à quelques journées de la fin (NDLR : 2-2 lors de la 36ème journée). On avait une équipe solide avec les anciens Marseillais Pascal Fugier et Jean-Christophe THOMAS ; le Suisse Marco GRASSI et des jeunes prometteurs. Cet effectif tenait la route et on sentait que c’était un petit cap de franchi pour le club.

Ce fut la dernière saison de la carrière du coach Michel Le Milinaire. Pouvez-vous nous décrire ses valeurs et sa vision du football ?

C’est quelqu’un qui savait ne pas mettre la pression aux joueurs. Il avait toujours le petit mot juste pour rassurer tout le monde. J’avais des souvenirs de lendemain de défaites où il parlait d’autres choses sans affolement et le match suivant, la défaite était oubliée. Il y avait toujours de la bonne humeur dans le vestiaire et ça aide dans les moments difficiles. Le Milinaire était un fin psychologue qui disposait cette année là de joueurs arrivés à maturité et il n’avait plus besoin de donner beaucoup de consignes tactiques. La police on la faisait nous même dans le groupe et ça tournait très bien. Le gros avantage du coach c’est qu’il mettait tout le monde à l’aise et de bonne humeur. Un entraîneur "à l’ancienne" qui avait la sagesse de l’âge, dédramatisait tout, avait toujours un mot sympa et beaucoup de tranquillité.

1996/1997 : cette année là, le club n'a pas fait les bons choix.

En 1996/1997, c'est votre dernière saison au club. Racontez-nous cette saison là sous les ordres d'Yves Colleu.

L’adjoint d’ Yves COLLEU était Michel Le Milinaire, la saison précédente c’était l’inverse. Pour moi ça a été une saison moyenne car je commençais à souffrir de blessures avec notamment un problème aux hanches et ça devenait dur physiquement. J’avais joué le jeu jusqu’au bout en disputant 35 matchs, à la fin comme remplaçant avec le petit Mikaël SILVESTRE dont on sait ce qu’il est devenu… C’était un passage de relais, les autres défenseurs commençaient à être très bons et pour moi ça devenait de plus en plus difficile. Comme j’étais arrivé un peu par hasard dans le foot pro, je vivais ça plutôt sereinement. Il n’y avait aucune ambigüité là-dessus.

Papura, Smith, Silvestre et Lassissi se succèdent à vos côtés en charnière. Que pouvez vous nous dire sur ces joueurs ?

Corneliu PAPURA était un bon joueur mais qui n’a pas réussi à s’adapter dans le groupe. Il avait un esprit spécial. On ne l’a pas vu beaucoup mais on a pas eu de problème non plus avec lui. Mikaël Silvestre était un élève très sérieux sorti du centre de formation qui avait des qualités athlétiques assez fortes. Parfois il jouait d’autres pas car il commettait quelques petites erreurs de jeunesse. Saliou LASSISSI était quelqu’un de très fantasque. On ne pouvait pas s’appuyer dessus car bien que c’était un très bon joueur, on savait que sur le long terme il ne pourrait pas durer. Gary SMITH était un Écossais arrivé avec Alan JOHNSTON. Ce qui me chagrinait à cette époque là, c’est que le club commençait à recruter plein d’étrangers avec aussi Kjetil REKDAL alors que jusque là on s’appuyait sur des joueurs ayant évolué en France. Le vestiaire est devenu multi-ethnique. Je me souviens que le club n’était pas structuré pour accueillir ces joueurs et on a commencé à avoir plein de complications nouvelles pour le Stade Rennais. En tant que capitaine, je m’étais impliqué pour leur trouver des voitures et des appartements car personne au club ne s’en occupait. Pour moi cette année là, le club n'a pas fait les bons choix.

Un joueur crève l'écran en 1996/1997 : Stéphane Guivarc'h, avec 30 buts puis devient champion du monde un an plus tard. Comment ce buteur vous a t'il marqué ?

C’était un joueur très instinctif qui sortait d’une saison blanche à Auxerre. Il s’est bien fondu dans le groupe, c’était un joueur très athlétique, puissant qui ne se posait pas de question et qui avait une énorme frappe. C’était quelqu’un de très gentil, sans problème et qui représentait bien la Bretagne. Il nous a fait une grosse saison.

Après 324 matchs et 25 buts à Rennes, comment se dessine votre départ à l'issue de cette saison là ? Avec quel sentiment ?

Je n’ai jamais regretté ce que j’avais fait, au contraire ! Mais je pense que cette année là n’a pas été la meilleure fin. J’ai passé 10 ans au club, je suis le 4ème joueur le plus utilisé du Stade Rennais de tous les temps (NDLR : derrière Yves Boutet, René Cédolin et Louis Cardiet) et il me semblait que j’aurais pu avoir un peu plus de considération. Je suis parti en vacances après qu’Yves Colleu m’aie dit qu’il n’y avait pas de problème pour ma dernière année de contrat. Je savais que j’allais peu jouer mais j’étais plutôt dans une optique de reconversion car j’avais été éducateur quand le club me le demandait et je m’étais investi dans plusieurs démarches. Pendant mes vacances, j’ai reçu un coup de fil de Gérard LEFILLATRE (NDLR : manager général du SRFC) pour me dire : "Le Mans s’intéresse à toi, si tu veux partir, tu peux partir !" Là, je suis tombé des nu de comprendre que je ne suis même pas dans les projets. Moi, j’estime que quand on ne veut plus de moi, je ne m’accroche pas non plus pour passer une année à se faire la tête. Les gens du Mans m’ont ensuite contacté avec un bon projet et je n’ai pu joindre Yves Colleu qui était aussi en vacances. J’avais vécu autre chose avant le football donc ça ne me dérangeait pas de retourner à un niveau inférieur. J’ai signé au MUC et je n’ai plus eu de contacts avec ces gens là du Stade Rennais. Je n’ai pas eu un au revoir, c’était très cavalier… Il ont même essayé de me faire signer un papier pour dire que je voulais partir parce que je n’étais plus titulaire. C’était pitoyable ! Il faisait du n’importe quoi avec une perte d’identité, même les jeunes Dabo, Wiltord et Silvestre ils n’ont pas fait l’effort pour les garder. Les recrues venaient de partout. Il n’y avait plus aucune unité. Ensuite, il y a eu l’ère Pinault avec de nouvelles personnes. Ceci dit, je ne garde que les bons souvenirs.

Sur ces 324 matchs que vous avez joué avec le Stade Rennais FC, s'il ne fallait en retenir qu'un quel serait-il ?

Une fois au Mans, suivez vous encore le parcours du Stade Rennais FC jusqu'au but de la délivrance signé Kaba Diawara ?

Bien sûr ! On ne passe pas 10 ans dans un club sans le supporter. La preuve, je suis revenu travailler dans la ville. Il n’y a pas de soucis, je suis à 100% derrière eux !

Depuis ce maintien de 1998, le club a vécu une trajectoire bien loin de votre époque rennaise avec un investisseur qui a fait changer le club de dimension. Quelle vision avez vous sur le sujet ?

Il le fallait. Quand je suis arrivé en 1986, le club est passé en SEM (NDLR : société d’économie mixte) après avoir connu des difficultés financières et c'est grâce à cela qu'il a redressé la situation en adoptant un plan rigoureux ! Il fallait bien rentrer dans le monde économique, ça c’est le football qui le voulait. Avec une personne solide comme François PINAULT, ça ne pouvait faire que du bien. Le centre d’entraînement qui a été fait c’était nécessaire pour que le club évolue. C’était même un bien pour le Stade Rennais.

"Je suis plus quelqu’un qui participe et le football je le vis comme joueur ou entraîneur"

Suivez vous toujours de près les résultats du club ? Allez-vous au stade ? Suivez vous les matchs en déplacement ?

Je suis les résultats mais je ne vais pas voir régulièrement les matchs. Je suis un supporter passif, je regarde, j’analyse mais je ne vais pas me lever pour crier ou critiquer. Je suis plus quelqu’un qui participe et le football je le vis comme joueur ou entraîneur. Resté assis à regarder un match, ce n’est pas mon truc.

En tant qu'ancien défenseur central, quels joueurs rennais avez vous le plus apprécié à ce poste depuis 1994 ?

Je suis plus pour Dominique Arrivagé qui m’a semblé solide pour l’équipe et donner un bon exemple. Aujourd’hui, Kader Mangane et Jean-Armel Kana-Biyik sont costauds physiquement. J’ai un petit faible aussi pour Grégory Bourillon car c’est un jeune du club à qui on a pas fait entièrement confiance. Je l’ai côtoyé un petit peu et j’aimais beaucoup son état d’esprit qui me correspond bien.

Que pensez des stoppeurs actuels du club qui ont des qualités bien différentes de ce qui se faisait à votre époque de joueur ?

John Boye on le connait moins malgré quelques apparitions. Onyekachi Apam, je vais attendre avant de le juger. Pour moi, Kana-Biyik est très fort et puissant. Mangane peut être à un très bon niveau mais il manque un peu de régularité car trop souvent blessé. Pour moi, un défenseur central c’est la base, il faut que le joueur fasse tous les matchs ou presque pour le bien de l’équipe. Rennes a un potentiel athlétique très impressionnant.

S'il ne fallait retenir qu'un homme de ces 20 dernières années du club. Qui serait il et pourquoi ?

Raymond Kéruzoré ! D’abord c’est lui m’a fait venir et qui m’a fait confiance. C’était quelqu’un de passionnant et passionné. Il avait du charisme, il nous transcendait ne serait-ce que par ses paroles.

N'avez vous jamais eu envie de retourner au club pour y occuper une autre fonction ?

Non ! Car l’ère Pinault est arrivée un an après mon départ donc en peu de temps, je ne connaissais presque plus personne au club. Il y a d’abord eu beaucoup de changements de joueurs et n’ayant plus de contacts avec les dirigeants, ça en est resté là !

Le mot de la fin ?

Je suis très fier d'avoir été fidèle au Stade Rennais FC durant dix années.


Accéder à la fiche de François Denis