Entrevue Jean-Yves KERJEAN

Avec 170 matchs joués sous le maillot Rouge et Noir, Jean-Yves Kerjean occupe la 48ème place des joueurs ayant le plus joué sous la tunique Rennaise. Titulaire indiscutable de 1977 à 1982 au poste de stoppeur, le natif de Ploudalmézeau (Finistère) a connu les années galères en Division 2 du Stade Rennais FC, puis une seconde partie de carrière surprenante. Le Léonard a aussi marqué de son empreinte le Stade Rennais Football Club.

• Né le 25 juin 1958 à Ploudalmézeau (29)
• Premier match : Stade Rennais FC – Nîmes Olympique (0-1) du 6 août 1976
• Dernier match : Stade Rennais FC – USL Dunkerque (3-0) du 8 mai 1982
• 170 matchs joués avec le Stade Rennais FC
• Stade Rennais FC (septembre 1975 à 1982); FC Chaumont (1982/1983); Olympique de Marseille (1983 à 1985); Istres Sport (1985/87); CL Dijon (1987 à 1989); FC Perpignan (1989 à 1990); FC Vannes (1990 à 1992)

"Ma grand-mère a dit ma maman qu'elle avait vendu son fils"

Comment as-tu commencé à jouer au football ?

Je suis allé à l'école des curés de Ploudalmézeau (Finistère) mais je n'étais pas très assidu. J'étais timide, je ne parlais pas, j'écoutais tout le monde. J’ai commencé à jouer au football à l’école, puis je suis allé jouer au club local : les Arzelliz de Ploudalmézeau. Sur le terrain je donnais tout, je changeais de personnalité, juste par plaisir du jeu. Enfant, j’étais toujours un peu livré à moi-même, je n’avais pas d’entraîneur : c’étaient les curés de l’école qui nous entraînaient. Quand je suis arrivé à Rennes, à la "Ville", je ne venais même pas seulement de ma petite commune de Ploudalmézeau, mais de mon petit village, de mon lieu-dit, de mon hameau en bord de mer, de ma petite maison. Je jouais milieu de terrain. Je faisais partie des meilleurs joueurs de mon club et je marquais beaucoup de buts : "je tenais la baraque" comme on disait.

Comment s’est passée ton arrivée au Stade Rennais FC en septembre 1975 ?

J'ai été repéré par tous les gros clubs de la région, dont le Stade Brestois. À l'époque, mon père ne voulait pas que je signe là-bas, car il trouvait que c'était trop amateur. Alors qu'il n'avait jamais joué au foot, mon père était ambitieux pour moi. C’était lui qui décidait. J'ai été sélectionné avec les Cadets Finistère Nord puis en équipe de France junior. C’est à cette époque que le Stade Rennais m’a contacté. Puis, le recruteur du FC Nantes est venu chez moi : mon père l'a écouté. Mais son idée était d'aller au Stade Rennais, récent vainqueur de la Coupe de France en 1971. À l’époque, le SRFC représentait la Bretagne, loin devant tous les autres clubs. Claude Dubaële, qui était recruteur du Stade Rennais FC, est venu me chercher à Ploudalmézeau. Ici, au fin fond de la Bretagne, personne n’avait jamais vu une Mercedes orangée comme ça. Il était en retard. J’en ai eu tellement marre d’attendre que je suis parti m’entraîner sur la dune d’où j’avais la visibilité sur la maison. Quand il est arrivé, je suis rentré. Mon père et ma mère l’ont accueilli sur la terrasse alors que ma grand-mère était dans le salon avec sa coiffe Bretonne. Il a parlé de mon futur, de mes futures études. À aucun moment, les conditions financières n'ont été abordées. Dans les années 70, quand tu étais repéré par un recruteur, personne ne parlait d’argent, tellement tu étais fier. Claude Dubaële est un homme qui m'a beaucoup impressionné et à qui je dois beaucoup dans ma carrière. Il était très rigoureux, très humain et était très proche des jeunes qu'il avait recrutés. Je l’ai gardé comme exemple durant toute ma carrière. Quand il a quitté la maison, ma grand-mère est partie prier. Elle disait à ma maman qu'elle avait vendu son fils. C'était une autre époque.

Sans centre de formation, comment se sont passées tes premières saisons à Rennes ?

C'était la première année du "faux" centre de formation. Je logeais au foyer des jeunes travailleurs du Gros Malhon à Rennes. Nous étions livrés à nous-mêmes, sans encadrement. Claude Dubaële s'occupait de nous mais il manquait de moyens. Au foyer, il y avait des jeunes délinquants avec nous. Les flics venaient de temps en temps. Ce n’était pas du tout le contexte approprié pour former des jeunes footballeurs. Au bout de deux ans, j’ai été le seul à être gardé au Stade Rennais. Voir partir tous mes copains m’a fait avoir les larmes aux yeux. Nous sommes restés encore deux ans au foyer, puis des préfabriqués ont été construits au stade, Route de Lorient. Le Centre de Formation était mieux mais n'était pas vraiment top et pas du tout confortable.

Et au niveau football ?

En arrivant, je jouais avec l’équipe des Juniors du Stade Rennais FC. Un jour, alors que j'avais joué la veille en amical, je vais voir un match de 3ème division sur le terrain d'honneur. Fredo Garel, l’entraîneur de l’équipe de D3, vient me voir en tribune et me dit qu'il fallait que je joue car il y avait un joueur qui s'était blessé. J’ai joué arrière gauche et j’ai fait un très bon match. Je suis resté dans l'équipe de Division 3 tout le reste de la saison. A l'issue de cette saison, je suis rentré dans le groupe professionnel pour ne plus en ressortir.

Saison 1976/1977 : Jean-Yves Kerjean à l’échauffement sur le terrain de la Conciergerie (Photo Germain Lemoine)

Comment s’est passé ton premier match comme titulaire en Division 1 ?

J'ai commencé à jouer en professionnel très rapidement. Après être rentré en cours de jeu face à Nîmes (NDLR : 6 août 1976 : Stade Rennais F.C. – Nîmes Olympique (0-1)), je suis titulaire contre l’OGC Nice comme arrière gauche (NDLR : 7 septembre 1976 : Stade Rennais F.C. – OGC Nice (0-0)). À l’époque, le club venait de remonter en première division. Nice était alors premier du championnat de France avec des joueurs comme Dominique Baratelli ou Jean-Marc Guillou. J’ai fait un super match au marquage de Nambatingue Toko, un joueur Sénégalais qui a évolué par la suite au Paris SG et qui était une force de la nature. À la suite de ce match, beaucoup de gens me voyaient être appelé en Equipe de France Espoirs. Malheureusement, je me suis fait une entorse lors d’un contact avec Toko. Cette blessure m’a coupée dans mon élan car elle ne disparaissait pas. J’ai fait 7 apparitions au cours de cette première saison en professionnel comme remplaçant du titulaire du poste qui était Daniel Périault.

"Nous avons commencé à ressentir les problèmes financiers très vite"

Comment as-tu vécu cette première saison mais aussi dernière saison en Division 1 avec le Stade Rennais FC lors de la saison 1976/1977 ?

C’est ma seule saison en Division 1 avec le Stade Rennais FC. Nous avions des individualités capables de maintenir le club en D1 mais pas suffisamment de collectif. Les entraîneurs de cette époque, à l’exception de Claude Dubaële, étaient beaucoup trop hautains avec les joueurs, comparativement à aujourd’hui. Le Club manquait aussi de mécène et de ressources financières. Nous avons commencé à ressentir les problèmes financiers très vite, dès que nous parlions des primes de match ou lorsque nous étions en pleine négociation de contrat.

La saison 1977/1978 est marquée par la grève contre le LOSC. Comment as-tu vécu cette saison ?

Nous connaissions régulièrement des retards de salaire. Je m’en fichais un peu car j’étais jeune. Ceux qui étaient mariés ou qui étaient professionnels ne voulaient plus s’entraîner. Certains disaient qu’ils étaient blessés pour ne pas s’entraîner. Avant le match contre Lille (NDLR : 19 novembre 1977 : SRFC-Lille OSC (2-2)) match pour lequel il y a eu la fameuse grève, j’étais présent dans les vestiaires durant toute la semaine précédant le match. Devant tous les joueurs du club, j’ai dit que j’allais jouer : "Je suis payé ou je ne suis pas payé, moi, je joue pour le Stade Rennais." J’avais pris ma décision avant les autres joueurs du club.

19 novembre 1977 : les Rennais, dont 9 joueurs amateurs, réussissent l’exploit de faire match nul contre le LOSC. (Photo : Ouest-France)

Contre Lille, ceux qui avaient fait grève étaient surtout les gros salaires. Les joueurs de la réserve avaient été super forts notamment Jean-Marc Orhan, Richard Grosvalet et Bertrand Marchand. Nous avions fait un super match. Je m’étais dit que nous allions nous maintenir en Division 2 avec les joueurs de la réserve, pour le reste de la saison. Mais quelques jours plus tard, tout est rentré dans l’ordre et les "grévistes" sont revenus. La situation financière du club a beaucoup perturbé les joueurs professionnels et a donc influé sur les résultats. Durant cette saison, nous finissons malgré tout en milieu de tableau et nous nous maintenons assez facilement.

Pourquoi signes-tu ton premier contrat professionnel seulement à partir de la saison 1978/1979 ?

Je suis devenu titulaire en Division 2 tout en étant stagiaire professionnel. A l’époque, les dirigeants abusaient, personne n’avait d’agent et je n’avais aucun repère financier. Je ne demandais rien : j’étais "Stade Rennais" à 200%. Comme stagiaire professionnel, je gagnais très peu même si j’étais nourri et logé. Les dirigeants ne pensaient pas à protéger leurs joueurs en les faisant signer professionnel. J’ai seulement signé professionnel à l’issue de la troisième année. Je n’avais eu aucune opportunité de partir auparavant. Je n’ai jamais été informé des clubs qui s’intéressaient à moi, à part l’AS Saint-Etienne d’une manière fortuite. Nous avions fait un match amical contre le Stade Malherbe de Caen du côté de Rouen pour l’inauguration du Stade Michel Hidalgo. Sur un centre, j’ai tenté une reprise de volée pied gauche des 30 mètres : la balle est partie en pleine lucarne. Nous avons gagné le match. Michel Hidalgo, qui était présent, est venu me voir à la fin du match, en me disant que j’étais un bon joueur. J’ai su deux ans plus tard que l’AS Saint-Etienne voulait me prendre mais que le Président du Stade Rennais, Monsieur Dimier, avait freiné. Sans cela, j’aurais pu signer dans le grand Saint-Etienne en août 1978.

"Le départ de Pierrick Hiard a été perçu comme un choc"

Cette saison 1978/1979 marque le départ de Pierrick Hiard au Sporting Club de Bastia. Comment ce départ a-t-il été ressenti au sein de l’équipe ?

Le départ de Pierrick Hiard a été perçu comme un choc, comme une grosse perte pour nous car Pierrick était adoré de tout le monde. Il apportait énormément aux jeunes par sa conduite exemplaire, son jeu et sa personnalité. Nous l’avons quand même remercié car son transfert assurait à tous les joueurs trois mois de salaire.

Lors de la saison 1979/1980, malgré une baisse de résultats dans la seconde partie de saison, le Stade Rennais FC finit second du Groupe B de Division 2. Vous échouez lors du premier match de barrage contre Avignon. Est-ce un regret ?

Nous perdons la double confrontation contre Avignon alors que nous aurions pu aller beaucoup plus loin et même monter (NDLR : 24 mai 1980 : Stade Rennais F.C. – AC Avignon (0-0) et 27 mai 1980 : AC Avignon – Stade Rennais FC (3-2)). Ce barrage arrive beaucoup trop tard, à la fin de la saison de championnat que nous avions survolée et alors que plusieurs joueurs étaient déjà en pleines négociations avec d’autres clubs. Je pense que c’est ça qui nous coûte la montée. À l’époque, il y avait des mercenaires qui arrivaient comme Spreco par exemple. Il a fait un test avec le Stade Rennais où il fait un match extraordinaire. Il est reparti chez lui en vacances durant un mois ou un mois et demi et quand il est revenu, il avait pris 10 kilos…

Jean-Yves Kerjean sous le maillot Rennais face à l’USL Dunkerque (4-3) du 29 mars 1980.

Quel est le match marquant de ta carrière rennaise ?

Il y a bien sûr le premier match à Rennes de Laurent Pokou quand il est revenu de Nancy au Stade Rennais (NDLR : 23 septembre 1978 : En Avant Guingamp – Stade Rennais FC (2-0)). Quand il est revenu à Rennes, c’était un Dieu vivant, au-dessus d’une star, un phénomène, un joueur unique. A Rennes, nous avions la chance de faire souvent des matchs intéressants et avec peu de moyens, nous n’étions jamais en fin de tableau. De ce côté-là, nous avions quand même une équipe confirmée.

Durant tes saisons de joueur au SRUC, quel match t’a le plus marqué négativement ?

C’est le match contre Saint-Pol-de-Léon en Coupe de France (NDLR : 23 décembre 1978 : Saint-Pol de Léon - Stade Rennais FC (3-1) – 7ème Tour de Coupe de France). Nous étions arrivés en pleine tempête finistérienne, avec beaucoup de vent, de la pluie et de la boue partout sur le terrain. Le ballon partait dans tous les sens. Tu t’enfonçais sur le terrain, si bien qu’il n’y avait aucune différence de niveau entre les joueurs professionnels et amateurs. En fait, c’était injouable. Ce match n’aurait jamais dû avoir lieu. Les joueurs de Saint-Pol ont commencé à insulter Laurent Pokou, et lui s’est énervé contre eux et a pris un carton rouge après avoir donné un coup de pied à l’arbitre. Ce match a marqué la fin de sa carrière de footballeur en France.

Tu es toujours le 48ème joueur en nombre de matchs joués pour le Stade Rennais avec 170 matchs joués. L’imaginais-tu ?

Durant mes années professionnelles au Stade Rennais, je n’étais pas conscient de répéter les matchs comme cela. Je ne pensais pas que j’allais atteindre ce niveau. En jeune à Ploudalmézeau, je n’avais aucun poste défini et aucune notion de niveau. Je voyais juste que je faisais gagner mon équipe tous les week-ends. Tout le monde voyait bien que j’avais un niveau supérieur aux autres mais personne ne me disait si j’étais voué à une carrière ou pas.

"J’aimais bien jouer à l’époque contre En Avant Guingamp et le Stade Brestois"

Durant ta carrière de joueur, quels coéquipiers au Stade Rennais t’ont marqué ?

Un gardien : Pierrick Hiard, surtout par son charisme, sa simplicité et son intégrité. Il était vraiment fier de porter les couleurs de son club.
Un défenseur : Je m’arrangeais vachement bien sur le terrain avec René Izquierdo. Nous étions hyper complices sur le terrain et très complémentaires. Lui aussi avait une très bonne lecture du jeu. Nous approchions de la perfection au niveau de la position, des relances, des trajectoires.

15 mars 1980 : Jean-Yves Kerjean au côté de René Izquierdo lors des 16èmes de finale retour de la Coupe de France face au Havre (2-2).

Un milieu : Houssaine Anafal m’a beaucoup marqué. Il habitait à côté de chez nous à Villejean. Il avait une allure un peu nonchalante mais arrivait toujours à faire des gros matchs au Stade Rennais, un peu à la Ngolo Kanté. Il remontait tout le terrain et traversait les lignes tout le temps. C’était un joueur extraordinaire, d’une gentillesse incroyable, respectueux.
Un attaquant : le plus grand, évidemment, c’est Laurent Pokou. Il avait une double détente verticale incroyable. Quand il décollait pour mettre la tête, il avait encore un coup de rein pour aller encore beaucoup plus haut que ses adversaires. Il arrivait à l’entraînement avec une quinzaine ou une vingtaine de ses copains. Il arrivait avec son gros manteau de fourrure et rentrait dans les vestiaires comme dans un film. Il était unique.

Quelles ont été tes relations avec les différents dirigeants rennais ?

J’ai côtoyé Lemoux Bernard qui était un "personnage." Il représentait un grand Manager Général du Stade Rennais comme, je pense, il n’y en a pas eu beaucoup. C’était vraiment un meneur d’hommes. Il prenait des décisions fortes et nous sentions qu’il y avait un pilote à bord. J’ai eu beaucoup de respect aussi pour Alfred Houget qui était un mec franc, avec des rapports humains très importants.

À ton époque, quelle était l’ambiance au Stade de la Route de Lorient ?

Le public était très chauvin. Les spectateurs étaient des passionnés de leur club, même si les affluences en Division 2 étaient parfois très faibles. Nous avions un moins beau stade que les autres villes. Les installations n’étaient pas terribles.

Y-a-t-il des équipes contre qui tu préférais jouer ?

J’aimais bien jouer à l’époque contre En Avant Guingamp et le Stade Brestois. A l’époque, nous étions bien plus forts qu’eux et les battions tout le temps. Nous aimions bien avoir la supériorité régionale car c’était important pour les dirigeants. En jeunes, le FC Nantes était notre grand rival régional. Ils allaient souvent loin en Gambardella et en Division 3. Par rapport à nous, ils avaient toujours plus de supporters, un stade beaucoup plus beau, des moyens financiers énormes, une grosse école de formation que nous n’avions pas. En D3, en Junior, en Gambardella, ils étaient beaucoup plus forts que nous : ils nous battaient à chaque fois.

Quelles raisons te poussent à partir au FC Chaumont au terme de la saison 1981/1982 ?

J’avais 24 ans et en fin de contrat. Le président Dimier voulait me conserver mais à des conditions financières vraiment basses par rapport à d’autres clubs. Cela était perçu pour un dû que nous devions avoir pour le club. Les discussions de fin de saison ne se sont pas bien passées. Quand j’ai su que d’autres clubs s’étaient renseignés sur moi, j’ai été plus exigeant financièrement. Mais moi, je souhaitais être davantage considéré, après avoir été titulaire des saisons entières. En m’intéressant aux salaires des autres joueurs rennais, je me suis rendu compte que je gagnais beaucoup moins qu’eux. J’ai donc demandé un salaire correspondant à ce que j’avais apporté au Stade Rennais mais cela n’a pas abouti. En Avant Guingamp ainsi que d’autres clubs de 2ème division m’ont alors contacté. L’indemnité de formation demandée par le Stade Rennais était très élevée. Le club voulait faire une affaire sur les joueurs qui avaient été formés au club. Les clubs de D2 qui me contactaient étaient d’accord pour la payer mais au détriment de mon contrat. J’ai considéré que je n’étais pas reconnu par le club comme j’estimais devoir l’être et qu’il fallait que je pense à ma famille et à mon avenir. Je suis parti, gratuitement, au FC Chaumont en Division 3 avec un contrat professionnel mais sans indemnité de formation à payer et en gagnant beaucoup plus qu’à Rennes, pourtant en Division 2. Voilà comment mon départ s’est un peu précipité.

"J’ai atteint à l’OM un niveau que je n’avais jamais atteint jusque-là"

Comment s’est passée la suite de ta carrière et ton arrivée à l’Olympique de Marseille en 1983 ?

Dès le départ, Chaumont était une étape pour rebondir. Cette indemnité de formation m’avait empêché de rester jouer au niveau que je souhaitais. J’ai fait une très grosse saison à Chaumont car j’étais motivé pour rejouer au haut niveau. Claude Cuny, qui était Manager Général de l’Olympique de Marseille, m’a permis de signer à l’OM l’année suivante en Division 2. J’y ai atteint un niveau que je n’avais jamais atteint jusque-là. Je me suis éclaté, malgré une pression beaucoup plus importante, et avec des supers joueurs comme François Bracci, Paco Rubio, ou Saar Boubacar. Lors de la saison 1983/1984, j’ai été désigné comme étant la deuxième meilleure recrue de l’Olympique de Marseille suite à la remontée en D1. Je jouais stoppeur et j’ai fait une saison de folie. Les supporters m’ovationnaient et mettaient même des banderoles à mon intention au Stade Vélodrome.

1984 : Jean-Yves Kerjean sous le maillot de l’Olympique de Marseille.

À l’issue de la remontée de l’OM en première division avec la fameuse équipe des "Minots." l’OM m’a proposé une prolongation de quatre ans que j’ai refusée car je souhaitais un meilleur contrat. J’avais dit au Président de l’OM, Monsieur Carrieu, que s’il ne se pliait pas à mes conditions, je retournerais à la pêche en Bretagne. Après cet épisode, il m’a proposé une bonne augmentation que j’ai refusée. La saison a repris. À partir du moment où j’avais refusé la prolongation de contrat, mes problèmes ont commencé. Quand nous perdions un match, Claude Cuny disait que c’était ma faute. Pourtant, les supporters m’adoraient. Les Ultras avaient même fabriqué une banderole me demandant de rester avec eux. À la fin de la saison, j’ai eu des contacts avec d’autres clubs du sud qui m’avaient vu jouer dont le FC Istres qui m’a proposé un meilleur contrat en Division 2 qu’à Marseille en Division 1. Je suis donc parti alors que j’aurais pu connaître le début des années Tapie. Il fallait que je pense à mon avenir. C’est grâce à cette décision que ma famille a pu vivre grâce au football.

Et après l’OM ?

Je suis parti à Istres, puis à Dijon, à Perpignan et enfin à Vannes en Division 3 durant un an et demi car mon père était gravement malade en Bretagne et Vannes me permettait de me rapprocher. Au bout d’un an et demi, la ville de Vannes m’a demandé de devenir entraîneur-joueur de l’UCK Vannes. Je n’étais pas trop préparé mais j’ai accepté. Un an après, il y a eu la fusion avec le Véloce pour créer le Vannes FC mais c’était un club qui n’avait pas beaucoup de moyens.

Est-ce un regret de ne pas avoir joué plus de deux saisons en Division 1 ?

Je ne me rendais pas trop compte. Je donnais tout pour le club pour lequel je jouais. En treize années professionnelles, j’ai rencontré des gens honorables partout où je suis passé. Si j’avais eu un coup de pouce, j’aurais pu faire mieux. Mais à l’époque, j’étais uniquement focalisé sur le terrain et je n’étais pas aidé pour gérer tous les problèmes administratifs qu’il y a à côté. J’ai fait ma carrière en étant content de jouer pour les clubs où j’étais.

Tu jouais Stoppeur. Quelles étaient tes principales qualités de défenseur ?

J’étais bon dans la lecture du jeu adverse. J’étais aussi performant dans l’anticipation des trajectoires. Je n’étais pas très rapide mais j’avais des qualités athlétiques intéressantes : j’allais très haut de la tête. Sans m’en rendre compte, j’ai développé ma détente aérienne durant mon adolescence. Je me suis forgé les biceps et les abdominaux en soulevant des sacs d’algues de cinquante kilogrammes tous les étés avec mes parents sur les plages du Nord Finistère. J’avais aussi une très bonne technique du pied droit. J’étais assez technique pour un défenseur. Avec Istres, j’ai dû marquer 7 ou 8 coups-francs en étant arrière central ou numéro six. À l’époque, nous ne travaillions quasiment pas le second pied. Nous avions un pied fort. Quand le ballon arrivait du mauvais côté, nous mettions l’extérieur. En arrivant à Marseille, nous jouions un match amical contre Tours. J’ai fait quelques extérieurs durant le match et les gars se demandaient qui était le Breton qui était arrivé.

"A Johannesburg, j’ai coaché devant 100 000 personnes, rencontré Nelson Mandela qui était le Président d’Honneur de notre club"

Par la suite, tu as fait une belle reconversion en tant qu’entraîneur avec notamment une saison comme entraîneur des Orlando Pirates où tu as fini Champion d’Afrique du Sud. Est-ce le meilleur souvenir de ta carrière d’entraîneur ?

Ça a vraiment été l’apogée de ma carrière d’entraîneur. À Johannesburg, j’ai coaché devant 100 000 personnes et rencontré Nelson Mandela qui était le Président d’Honneur de notre club. J'ai aussi gagné le grand derby Kaizer Chiefs - Orlando Pirates. À la fin de ce match, le Président voulait me faire signer dix ans. Mais il y avait de graves problèmes de sécurité dans la ville. Il fallait choisir. Nous avons fait deux ans là-bas en famille et au bout d’un moment, nous avons décidé de revenir chez nous sur la côte des Légendes, à côté de nos plages, nos ports, nos bateaux. Je suis enfant de pêcheur et j’avais envie de me poser et revenir chez moi à côté de mes proches. Je n’ai pas beaucoup connu mon père qui était tout le temps parti et je ne voulais pas reproduire cela.

Que dirais-tu en conclusion ?

Venant de mon lointain Finistère Nord, de Ploudalmézeau, j’estime que j’ai fait une belle carrière tant comme joueur que comme entraîneur. J’ai commencé à jouer au football sans entraîneur à Ploudalmézeau : je suis donc parti de très loin. Ma carrière de joueur m’a permis de vivre de grands moments, notamment dans deux clubs qui sont devenus mes clubs de cœur : le Stade Rennais FC et l’Olympique de Marseille. Ma carrière d’entraîneur m’a aussi procuré de grandes émotions : j’ai pu rencontrer de grandes personnalités comme Nelson Mandela lorsqu’en j’entrainais à Johannesburg ou Diego Maradona lorsque j’étais à Dubaï au club d’Al-Wasl.

Jean-Yves Kerjean, aujourd’hui, toujours au bord d’un terrain de football.

Merci à lui pour ce témoignage.


Entrevue réalisée par Mattcharp