Entrevue Kaba DIAWARA

Auteur d'un des buts les plus importants dans l'histoire du Stade Rennais le 9 mai 1998 contre Toulouse, Kaba Diawara donnera le coup d'envoi au Roazhon Park le dimanche 16 octobre 2016 lors de la réception de Bordeaux. Pour ROUGE Mémoire, l'attaquant franco-guinéen - aujourd'hui retiré des terrains - revient sur ces quelques mois passés sous le maillot rouge et noir.

"Fier d'avoir marqué un but qui a permis au club de survivre"

Comment se dessine ton prêt au Stade Rennais en janvier 1998 en provenance de Bordeaux ?

J’avais le désir de jouer pour m’affirmer en tant que bon joueur des Girondins après une première année professionnelle super pour moi. Jean-Pierre Papin voulait jouer tous les matches pour être sélectionné pour la Coupe du Monde 1998 en France. Il était capitaine et ne voulait jamais sortir de l’équipe. Du coup, j’étais coincé comme remplaçant mais je ne voulais pas perdre ma place en équipe de France Espoirs. Guy David avait pris des renseignements sur moi et me voulait dans son équipe au Stade Rennais pour jouer les matches régulièrement comme titulaire. J’ai dit « Banco » même si Rennes était dernier, c’était une chance pour moi de m’inscrire dans un projet. Et pourquoi pas sauver le club !

Comment s’est déroulé ce transfert ?

J’étais à l’armée à ce moment-là et je signe avec Rennes dans les dernières heures du mercato. Patrick Battiston (NDLR : dirigeant à Bordeaux) m’attendait à l’aéroport où on a signé et posté directement le contrat. Je pars à Rennes dans la foulée avec Gérard Lefillatre, le directeur sportif de l’époque. J’arrive à Rennes vers vingt heures. C’est le coach Guy David qui m’accueille à l’aéroport de Saint-Jacques. Il me rentre dedans d’emblée un petit peu à la sudiste. Il me demande « toi t’es quoi comme joueur ? Tu es un joueur rapide, un joueur technique, tu es capable de mettre des buts ? » Je connais ce genre de discours en tant que joueur formé à Toulon. C’est un discours qui me pique en fait. Le coach m’annonce qu’il y a un match dès le dimanche en Coupe de France contre Châteauroux.

Comment se déroule ton intégration dans ton nouveau club ?

Cette scène avec le coach se passe le jeudi soir, dès le lendemain je m’entraîne avec le groupe une fois et on part immédiatement au vert. Je joue ce match et on le gagne. Le mercredi suivant, nouveau match crucial contre Châteauroux en championnat, on les tord 3-0 et je marque déjà mon premier but en Rouge et Noir. Mon intégration était réussie, j’étais accepté par mes partenaires et les supporters. Le coach me demandait de mettre de la bonne humeur dans le groupe car les mois précédents avaient été compliqués avec cette place de lanterne rouge au classement. Dès mon arrivée, je me suis bien entendu avec Jean-Claude Darcheville, Eddy Capron, Mikaël Silvestre et Ousmane Dabo. Les gars m’ont bien accueilli, l’histoire a commencé comme cela.

Comment trouvais-tu les installations et les conditions d’entraînement de l’époque au Stade Rennais ?

Il n’y avait pas photo avec les installations des Girondins. Rennes n’avait pas encore son centre d’entraînement et justement le club était menacé. J’avais d’ailleurs appris que si le club n’était pas parvenu à se maintenir en première division cette année-là alors François Pinault ne l’aurait pas racheté. Avec toutes ces personnes qui travaillaient pour l’avenir, le nouveau centre d’entraînement, le stade, le club n’avait pas le droit de descendre à ce moment-là. Je me suis investi à fond dans ce projet avec mes partenaires. Sur la dernière journée, j’ai eu la chance de mettre ce but qui sauve le club.

Ton arrivée coïncide avec une série de six matches sans défaite du club ?

Quand je suis arrivé, je n’avais pas ce problème de dire que je perdais beaucoup de matches. Moi, avec Bordeaux, j’avais plutôt l’habitude de les gagner… J’avais de la bonne humeur, je ne ressentais pas de pression. Je voulais tellement jouer et tellement me battre pour mériter d'être là que je me suis donné à fond. Mais je ne pense pas que la bonne série de l’équipe à ce moment n’était que de mon fait.

Te souviens-tu d’une victoire historique à Marseille avec une passe décisive pour Stéphane Grégoire ? [La feuille de match]

Bien sûr que je m’en souviens ! J’étais à l’armée au mois de janvier 1998. Au moment d’aller à Rennes, Rolland Courbis m’appelle le même après-midi. Il me fait comprendre qu’avec la Coupe d’Afrique des Nations, il va perdre Arthur Moses et Titi Camara ; et qu’il me veut à l’OM. J’avais un match à l’armée ce jour-là sous les ordres de Roger Lemerre alors que Rolland Courbis m’avait complètement fait basculer l’esprit. On est bien d’accord qu’entre aller à Marseille ou à Rennes, il y a une grosse différence… Le coach Courbis je l’avais eu à Bordeaux juste avant, c’est lui qui m’a lancé en pro. Guy David et Rolland Courbis s’étaient fréquentés plus jeune à Marseille. Il se sont appelés et finalement Rolland Courbis a décidé de me laisser filer à Rennes. Quand on arrive au Vélodrome en février, j’étais motivé à 100% parce que je suis né pas loin à Toulon, j’avais mes frères, mes cousins, mes parents dans les tribunes. J’avais d’ailleurs récupéré 14 des 17 invitations au stade proposées par le club. J’étais à domicile ! Du côté de l’OM, il y avait Laurent Blanc, Fabrizio Ravanelli, Christophe Dugarry… C’était Mon match ! Je fais un gros match et je donne la passe décisive pour le but de la victoire de Stéphane Grégoire. À la fin du match, Rolland Courbis est venu me dire : « tu nous as emm…. fils. » J’étais super content et le club aussi car ces trois points-là ont été très importants pour le classement final. Jamais on aurait pensé gagner à Marseille.

Le dernier match de la saison contre Toulouse est crucial. Comment l’abordez-vous ? [La feuille de match]

C’est bizarre vu la situation mais je garde un très bon souvenir de l’avant-match. On était parti en mise au vert dans un château en banlieue rennaise. Je me souviens de Jean-Claude Darcheville qui faisait rire tout le monde… On était sûr de nous, le coach dédramatisait et nous racontait sa jeunesse à Marseille. Il nous dit aussi que c’est une chance de jouer ce genre de match. Aujourd’hui encore, c’est un truc qui nous lie quand je revois Mikaël Silvestre, Ousmane Dabo ou Eddy Capron. On se rappelle tous de ce match. C’est un moment qui nous appartient, c’est nous qui l’avons fait ! Quand on gagne un titre on s’en rappelle forcément mais se sauver à la dernière journée c’est tout aussi fort. Cela me tient vraiment à cœur. Le jour de ce match, j’étais en forme, j’étais prêt, le soleil commençait à revenir, la coupe du monde allait bientôt commencer en France. Que du positif ! Préparer ce match était facile pour moi.

Sur le terrain, comment cela s’est passé ?

En fait on était en deuxième division pendant une dizaine de minutes. Sur le bord du terrain, on nous disait : « il faut marquer, il faut marquer ». On comprenait qu’il fallait absolument marquer même si sur le terrain, on entendait mal ce qui se disait à ce moment-là. Pendant le match, on n'a pas trop fait gaffe mais après coup, on se rend compte que c’était super important. Personnellement, j’ai la chance de mettre ce but là pour permettre à mon club de se sauver. C’est une grande fierté pour moi. D’ailleurs, quand je revenais à Rennes en tant que joueur, il y avait toujours des petites pancartes « Merci Kaba » ou « On t’oublie pas… » Ce but est l’un des plus grands moments de ma carrière. Après la victoire, la ville était en fête. On était sorti avec les autres joueurs. C’était vraiment cool.

Que gardes-tu de ce but ?

C’est Mikaël Silvestre qui monte comme d’habitude. Il avait 125 poumons, il était jeune à l’époque. On parlait souvent de cette situation de jeu. Je lui disais : « quand tu montes comme ça, je vais faire un appel au premier poteau et reprendre au deuxième poteau ». Sauf que dans cette situation à l’entraînement, soit il centrait au premier… soit au cinquième poteau. Je sais pas pourquoi ce jour-là la coordination a été parfaite. Avec aussi Nicolas Goussé qui a embarqué un défenseur au premier poteau. Je crois que c’est Dominique Arribagé qui était au marquage et il s’est fait prendre. Le ballon arrive donc au deuxième poteau et je smashe ma tête. Le gardien du TFC Alain Gouaméné a rien compris. Incroyable finalement, centre de Mikaël Silvestre, et but !

Suis-tu toujours de près le parcours du Stade Rennais ?

Je suis tous les clubs dans lesquels j’ai un souvenir fort. Même s’il n’y a pas beaucoup de titres, c’est un grand club français et j’ai envie de le voir briller. C’est un peu décevant de voir qu’avec le budget actuel, le centre de formation, le centre d’entraînement… le club ne parvient pas à gagner au moins une coupe. Les supporters attendent ça depuis longtemps et pourquoi pas dès cette année ? Il faut absolument gagner un truc pour valider ce projet et inciter François Pinault à investir davantage. Il a beau être de la région, attaché au club mais quand tu gagnes c’est mieux. Quand tu gagnes pas c’est chiant.

Tu donnes le coup d’envoi dimanche pour Stade Rennais – Bordeaux ?

Je suis super content. C’est avec un grand plaisir que je me rendrai au Roazhon Park. C’est un stade qui a beaucoup changé, j’ai hâte de découvrir cela. Le club a beaucoup changé depuis mon passage mais c’est avec un réel plaisir que je viendrai ce dimanche. En plus, je n’ai jamais donné de coup d’envoi, j’ai été invité à le faire à Nice mais je n’étais pas disponible. C’est un truc que l’on fait en fin de carrière et qui est méritoire. Là, je pouvais me libérer donc j’ai pas hésité une seconde pour ce coup d’envoi à Rennes où mon souvenir est fort. Ce passage en Bretagne est un truc que j’estime avoir réussi dans ma carrière. C’est une grande joie de revenir sur cette terre de football qu’est la Bretagne. Cet épisode rennais me rend fier d’avoir marqué un but qui a permis au club de survivre.

Que fais-tu aujourd’hui ?

Je suis Team Manager de la sélection de Guinée depuis deux ans. On a d’ailleurs perdu en qualification pour la Coupe du Monde 2018 contre la Tunisie dimanche. Je travaille aussi comme consultant pour Canal plus Afrique depuis cinq ans. Ce week-end, je commente le match de Manchester City, je donne le coup d’envoi à Rennes et je vais ensuite à Nice pour une célébration autour des anciens joueurs de l’OGCN.


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BONUS : Le reportage TV Rennes sur le match du maintien du Stade Rennais le 9 mai 1998