Entrevue Khennane MAHI

Khennane Mahi est le 3ème meilleur buteur dans l’histoire du Stade Rennais UC après Daniel Rodighiero et Jean Grumellon. Buteur à 88 reprises sous le maillot Rouge et Noir entre 1956 et 1962, il a marqué indéniablement le Stade Rennais Université Club de la fin des années '50. Pour ROUGE mémoire, il a accepté de revenir sur sa carrière, son parcours et nous révèle quelques anecdotes truculentes, témoins d’une autre époque.

"Jamais, je n’aurais pensé que je serais venu jouer un jour en France"

Pouvez-vous expliquer votre parcours de footballeur avant de signer au Stade Rennais en 1956 ?

En Algérie, c’était un peu comme au Brésil : Tout le monde jouait au football. Tout gamin, nous jouions dans la rue en faisant des buts avec des pierres. Nous cavalions toute la journée. À cette époque-là, l’Algérie était française. J’habitais à Mascara, ville de l’est algérien qui comptait environ 40 000 habitants. À Mascara, il y avait deux clubs : un club de pied-noir qui s’appelait l’Avant-Garde Sportive de Mascara où il n’y avait que des européens, et un club musulman, le Gallia Club de Mascara.

J’ai commencé à jouer au Gallia en cadet, puis je suis monté en Junior. De junior, je suis passé presque directement en équipe première du Gallia qui jouait en première division algérienne et qui faisait partie des meilleurs clubs algériens, avec de très grands joueurs jouant très bien au ballon. Mascara a toujours été une très bonne école de football.

Nous n’avions que le football pour titiller les pieds noirs. Ils occupaient tous les postes. À titre d’exemple, il n’y avait que trois flics et deux facteurs algériens à Mascara. Tous les autres étaient pied-noir. Les matchs contre l’Avant-Garde Sportive de Mascara étaient de vrais derbys. Cette équipe ne nous a jamais battus quand je jouais au Gallia. Pour éviter les bagarres, le match se jouait même à l’extérieur sur terrain neutre à Oran.

Comment s'est passée votre arrivée au SRUC ?

Le Président du Gallia était un pharmacien qui avait fait toutes ses études de pharmacie à Rennes et connaissait les dirigeants du Stade Rennais. Il s’était marié avec une Bretonne. À ce moment-là, les événements en Algérie ont commencé. Il y a eu les premiers attentats. Il n’y avait quasiment plus de football. Mon président m’a alors dit qu’il valait mieux que j’aille jouer au football en France plutôt que de rester mourir en Algérie. Jamais, je n’aurais pensé que je serais venu jouer un jour en France. Moi la France, je n’en avais vu que des images au cinéma ou dans les journaux. Il s’est arrangé avec le Stade Rennais et j’ai fait un essai qui a été concluant.

Que connaissiez-vous du club et du championnat de France à l’époque ?

Je ne connaissais absolument pas le club, ni la ville de Rennes. Je ne connaissais aucun club français.

À votre arrivée, comment s’est passée votre vie à Rennes ?

J’ai eu un accueil vraiment extraordinaire. Je suis tombé sur des gens formidables. En arrivant au Stade Rennais, je n’avais que 19 ans. Je n’avais jamais quitté les jupes de ma mère jusque-là. J’ai signé stagiaire. Je suis arrivé alors que la saison était déjà entamée. Mon acclimatation a été un peu compliquée à cause de la météo.

Avant de rejoindre Rennes, j’avais passé la nuit dans un hôtel à Paris en compagnie de mon président pour prendre le train pour Rennes le lendemain matin. J’étais très fatigué. Le matin, mon président est rentré dans ma chambre et a ouvert la fenêtre. Le temps était tout gris et le ciel bas. Il m’a dit alors qu’il fallait que je me réveille car sinon, nous raterions le train. Moi je pensais que j’avais encore le temps car j’avais l’impression qu’avec ce temps, il faisait encore nuit. Quand j’ai compris l’heure qu’il était, je le lui ai dit que je ne resterais pas là, et que je rentrais directement en Algérie. À 11h chez moi en Algérie il ne faisait pas nuit, il y avait du soleil ! Évidemment, je suis quand même parti pur Rennes.

A cette époque, à Rennes il y avait André Ascensio et Antoine Pascual. Tous les deux étaient pied-noir et avaient joué dans un club à Oran où je les avais rencontrés en cadet puis en junior. Nous avions joué aussi ensemble en sélection d’Oranie. Le premier jour, en arrivant à l’entrainement au stade, je les aperçois tous les deux. J’ignorais totalement qu’ils jouaient désormais comme moi pour le Stade Rennais UC.

"Je me suis planté à l’aile droite et je n’ai pas dû faire plus de 10 mètres pendant tout le match. Je n’ai pas bougé tellement j’étais gelé"

Racontez-nous votre premier match à Sochaux (3-1) le 28 octobre 1956.

J’ai un souvenir incroyable de mon premier match avec Rennes. C’était à Sochaux. Il faisait très froid : le thermomètre affichait certainement moins de 0°. Je suis rentré sur le terrain, j’avais les pieds gelés. Je jouais ailier droit. Je me suis planté à l’aile droite et je n’ai pas dû faire plus de 10 mètres pendant tout le match. Je n’ai pas bougé tellement j’étais gelé. À la mi-temps, j’ai dû mettre mes pieds dans une bassine d’eau chaude pour me réchauffer les pieds. J’ai dit à Monsieur Guérin, l’entraineur, que je ne resterais pas là, que je rentrerais chez moi car je n’avais jamais vu un froid comme ça. En plus de ça, nous avions perdu là-bas. À la fin du match, j’étais en train de pleurer tout seul dans mon coin du vestiaire. Antoine Cuissard est venu me voir et m’a demandé pourquoi je pleurais. Je lui ai expliqué que je pleurais car nous avions perdu. Il était très surpris et m’a dit que je gagnerais et perdrais beaucoup d’autres matchs dans ma vie. Chez moi, quand nous perdions, tout le monde chialait car nous avions horreur de perdre.

Durant votre première saison vous marquez 4 buts pour 21 matchs ?

Oui, j’ai commencé ailier droit au Stade Rennais. J’avais pour consigne de déborder et centrer sur José Caeiro, un avant-centre espagnol qui avait un jeu de tête incroyable. Il frappait aussi fort de la tête que n’importe quel autre joueur avec le pied. Avec sa tête, il faisait de véritables tirs au but. Ça partait comme une bombe. J’ai commencé à marquer des buts quand j’ai commencé à jouer à côté de Cuissard et de Théo. Dès qu’il avait le ballon, Théo savait où j’étais et me trouvait les yeux fermés. Je me suis régalé avec lui.

Au terme de cette première saison, le Stade Rennais descend en Division 2. Était-ce une déception ?

Nous sommes descendus au terme du troisième match de barrage contre Lille. J’avais marqué un but au Parc des Princes lors du dernier match (Ndlr : 17 juin 1957 : SRUC-LOSC : 1-2). Ce n’était pas vraiment une déception. Je ne me posais pas de question : je jouais les matchs et puis c’est tout. Nous sommes remontés immédiatement la saison suivante. Après, le Stade Rennais n’est plus jamais redescendu jusqu’à la saison 1974/1975.


8 juin 1957 : 8 Juin 1957, Khennane Mahi lors de Stade Rennais UC-Lille OSC (1-3) lors du second match de barrage Division 1/Division 2.

Durant les saisons suivantes, le Stade Rennais UC finit systématiquement dans la seconde partie du classement. Comment expliquez-vous ces classements répétés malgré vos bonnes saisons ?

Nous n’avions pas une grosse équipe. Nous jouions le ventre mou. En championnat, à cette époque-là, il y avait des grosses équipes comme le grand Stade de Reims, le Racing de Paris, Nîmes.

"Je lui ai mis une énorme droite en pleine face"

Avez-vous le souvenir de rencontres houleuses, des rencontres lors desquelles vous avez été particulièrement secoué ?

Je n’ai pas de souvenir de violence. Nous y allions certes, nous nous rentrions dedans mais sans dépasser les limites. Nous nous serrions la main et nous allions boire un coup à la fin du match. Il y avait 2-3 mecs qui étaient durs dans le championnat. Nous, nous avions Stefan Ziemczak.

Sur le terrain, c’était un vrai dur, un méchant. Je me suis même battu une fois avec lui à la fin d’un match à cause de cela. C’était suite à un match contre Angers à Rennes (Ndlr : le 18 octobre 1959, SRFC-SCO : 2-3). Au SCO Angers, il y avait deux Algériens que je connaissais : Defnoun et Ben Fadah. À un moment, un des deux passe Ziemczak balle au pied mais reçoit un croche-pied et tombe par terre et continue à glisser. Ziemczak continue sa course et saute par-dessus l’un des deux Algériens et lui retombe volontairement sur les reins. Le gars est sorti sur brancard et n’est pas revenu. Un peu plus tard, il a attrapé le second Algérien de façon similaire en lui mettant la cheville en l’air. Je n’ai rien dit, c’était son jeu et il y avait un arbitre. En rentrant aux vestiaires, nous partons nous doucher. Tout d’un coup, je l’ai entendu insulter mes deux compatriotes algériens se vantant de les avoir blessés volontairement. J’ai trouvé que c’était très maladroit, surtout devant moi. J’étais à côté de lui, j’étais son partenaire et rien que par respect pour moi, il n’avait pas à dire quelque chose comme ça. Je me suis alors retourné et lui ai dit qu’il n’attraperait pas le troisième Algérien sur le terrain et là, je lui ai mis une énorme droite en pleine face. Après il s’est calmé.

Même à l’entrainement, quand il y avait un jeune ou un nouveau qui arrivait, il mettait directement le pied. Une fois encore, je l’ai cogné à cause de mon ami Brahim Bourras. C’était un attaquant qui allait très vite. Un jour, il prend le ballon et Ziemczak lui met la cheville en l’air en le taclant violemment avec les deux pieds. Je lui ai mis une claque dans la gueule en lui disant qu’il était fou, que nous étions à l’entrainement, que Bourras était son partenaire. Il y en avait un autre qui était méchant mais méchant dans le jeu, c’était René Gaulon. Avec le milieu Ziemczak-Gaulon, quand on jouait contre Reims, les Fontaine, Kopa, Piantoni, faisaient des sauts. Dès qu’ils touchaient le ballon, ils le donnaient immédiatement car ils avaient peur.

Avant une sélection de septembre 1961, nous avions fait un match contre Nîmes. Il y avait Bettache et Charles-Alfred en défense à Nîmes. Nous sommes rentrés aux vestiaires à la mi-temps en gagnant 2-0. En revenant en 2ème mi-temps, lorsque je prends mon premier ballon, j’ai tenté de passer entre les deux arrières centraux nîmois. Ils s’y sont pris à deux pour m’arrêter en m’attrapant le mollet. Bettache, c’était un sacré client, un dingue.


13 novembre 1960 : Stefan Ziemzack et Khennane Mahi après la victoire du Stade Rennais sur le Racing au Parc des Princes (0-2).

Durant vos 6 saisons de joueur au SRUC, quel match vous a le plus marqué positivement ?

J’ai fait quelques très bons matchs à Rennes. Je me rappelle d’un match Rennes-Sedan (Ndlr : le 26 avril 1959, SRUC-Sedan). Ce jour-là, il y avait 16 000 ou 17 000 personnes. Sedan était entrainé par Louis Dugauguez et j’avais Zacharie Noah sur le dos, le père de Yannick le tennisman. Tout le stade s’était levé en criant " Mahi, Mahi, Mahi ". J’avais marqué trois buts. Nous avions gagné 3-1. J’avais fait un match extraordinaire. C’était un sacré match, il faisait beau, c’était un match du printemps.

Quel est le plus beau but que vous ayez marqué avec le Stade Rennais ?

C’est un but contre le Racing Club de Paris au Parc des Princes (Ndlr : le 13 novembre 1960, Racing-SRUC). C’était le 13ème match de la saison et le Racing n’avait perdu, jusque-là, aucun match depuis le début du championnat. Nous les avons battus 2-0. J’avais gagné une montre pour ce geste-là car c’était " l’exploit sportif de la semaine ". Je suis arrivé balle au pied devant le gardien Taillandier qui est sorti à ma rencontre. Je l’ai lobé et je suis rentré tout seul dans le but avec le ballon. Je crois que c’est à partir de là, que j’ai été sélectionné en équipe de France. C’est mon but le plus marquant.


13 novembre 1960 : Khennane Mahi lobant le gardien du Racing avant d’aller marquer dans le but vide lors du match Racing-Stade Rennais 0-2.

En 1961, vous finissez Étoile d’Or. Que représentait ce prix à cette époque et pourquoi l’avez-vous remporté ?

C’était le prix du meilleur joueur de la saison du championnat de France déterminé selon les notes de France Football. Pour moi, il y a eu un coup d’arnaque car nous avons été deux à le gagner cette année-là. Je l’ai eu en compagnie de Bernard l’ancien gardien de Nîmes, Saint-Étienne et de l’équipe de France. J’étais en compétition avec lui. Il avait déjà joué deux matchs de plus que moi. Le dernier match, il prend 4 buts. Malgré cela, il a eu le même nombre d’étoiles que moi et nous avions fini à égalité au classement de cette Etoile d’Or.

"Quand je suis parti à Toulouse, je m’entrainais quand même la semaine avec Rennes car…j’avais une copine à Rennes"

Quelless étaient vos relations avec Henri Guérin, l’entraineur du Stade Rennais ?

Je n’aimais pas trop sa façon de faire avec moi. Jamais, il n’est venu me dire après un match " Bravo Mahi, t’as été bon aujourd’hui ", et pourtant j’ai fait plusieurs très bons matchs. Par contre, quand je faisais un mauvais match, il me faisait convoquer par les dirigeants. Devant eux, il affirmait que j’étais sorti avant le match, que je n’avais pas été sérieux. Le terrain était ma seule défense.

Je me rappelle toujours d’un match à Troyes joué un jeudi (Ndlr : 15 septembre 1960, Troyes-SRUC : 2-3). Le samedi précédent, nous avions joué un match à Paris contre le Stade Français. En rentrant à la gare de Rennes, j’avais un copain qui m’attendait. En montant dans sa voiture, il s’aperçoit qu’Henri Guérin nous suivait. Je lui ai alors proposé d’aller boire un coup tous les deux. Nous nous arrêtons dans un bar où je commande un Perrier. Henri Guérin arrive alors dans le bar. Je finis mon Perrier et je dis à mon pote de me ramener à la maison car j’étais fatigué et il y avait un match le jeudi suivant ! Nous remontons dans la voiture, et là la voiture de Guérin continue à nous suivre. Nous avons tourné en rond volontairement pendant au moins trois-quarts d’heure. Au bout d’un moment, j’en ai eu marre et j’ai demandé à mon copain de me ramener chez moi. Le lendemain, j’ai été convoqué par les dirigeants dont le président Girard. Je lui ai dit que je pouvais raconter n’importe quoi mais celui qu’ils allaient croire c’était leur entraineur. Je leur ai dit que je n’avais plus qu’un truc, c’était de montrer sur le terrain à Troyes si j’avais fait l’imbécile ou pas. Nous sommes alors allés gagner 3 buts à 2 là-bas. J’en marque un. Dans le train, nous avions pris un petit verre avec les copains, nous étions tous un peu éméchés. J’ai emprunté une canne et un chapeau melon à un voyageur et je me suis moqué d’Henri Guérin en imitant Yves Montand : " que c’est bon de boire du Perrier avant un match !"

Plus tard, au moment de partir entrainer Saint-Étienne, Henri Guérin est venu me voir : " Mahi, je sais que vous êtes un très grand bonhomme, un grand joueur. Je vais à Saint-Étienne qui est un très grand club. J’aimerais bien vous emmener avec moi, nous ferons du très bon boulot ". J’ai bien sûr refusé en lui disant que je venais de passer six ans avec lui et qu’il irait à Saint-Étienne sans moi.

Un jour, quelques années plus tard alors que j’avais arrêté ma carrière de joueur, je l’ai rencontré à Mascara. Il a dit à un copain que j’avais été un énorme joueur. Je lui ai dit qu’il avait mis du temps mais que ça me faisait plaisir de l’entendre.

Vous quittez le club lors de la saison 1962/63. Pourquoi ?

J’en avais marre et je voulais voir autre chose. Toulouse avait proposé au Stade Rennais UC de transférer Alain Jubert plus 6 millions d’anciens francs pour mon transfert. C’était déjà dans tous les journaux. J’ai trouvé rapidement un arrangement avec Toulouse présidé alors par le milliardaire rouge Jean-Baptiste Doumeng. En revenant à Rennes, j’ai été convoqué par le Président du Stade Rennais, Monsieur Girard. En ouvrant le tiroir de son bureau, il sort alors le contrat de Jubert en me disant qu’il le déchirerait et me donnerait le double de ce que Toulouse me donnait, si j’acceptais de rester à Rennes. Je lui ai dit que je n’avais qu’une parole et que donc j’irai à Toulouse.

À Toulouse, quelles étaient vos conditions d'entraînement ?

Quand je suis parti à Toulouse, je m’entrainais quand même la semaine avec Rennes car j’avais une copine à Rennes… En arrivant à Toulouse, Doumeng m’a dit que si je marquais un, deux ou trois buts, j’aurais cent nouveaux francs par but et que je pourrais aller m’entrainer à Rennes quand je voulais. Ça me motivait. Je remontais à Rennes en voiture. J’étais dingue, j’étais amoureux. C’est en partie à cause de cela que j’ai bousillé la fin de ma carrière. Lorsque nous jouions en nocturne à Toulouse, nous sortions du stade à minuit. Je prenais alors la route immédiatement et j’arrivais à Rennes le lendemain vers 8h. J’y passais la journée et je repartais le soir pour être à l’entrainement à Toulouse le mardi matin. Quand je pense aujourd’hui à ce que je faisais, je me dis que j’étais costaud, mais ça a fini par me bouffer car j’ai accumulé de la fatigue et un jour ça a pété. Cette saison-là, j’ai marqué 28 buts avec Toulouse avec Deladerrière avec qui j’étais comme un roi.

Qu’avez-vous fait après Toulouse ?

J’ai fait Toulouse, Nîmes, puis le Red Star, et j’ai fini à Lorient avec une superbe équipe d’anciens Rennais (Boutet, Darchen, Ascensio). Au FC Lorient, nous avions une équipe extra, magnifique.

"J’aurais bien aimé finir mes jours à Penmarc’h"

Après votre carrière de joueur, vous êtes devenu entraineur ?

J’ai été entraineur à Mascara pendant trois saisons, puis entraineur à Saint-Malo pendant deux saisons. Ensuite, quelqu’un m’a dit que Penmarc’h alors en DH cherchait un entraineur et que je m’y plairais à coup sûr. Je suis allé voir. L’entrée de Penmarc’h à l’époque, c’était terrible. Ça a changé depuis mais à l’époque il n’y avait pas une seule maison à étage. Autant Penmarc’h l’été, il y a du monde, autant le reste de l’année, il n’y a pas un chat. Moi, dès le départ, je me suis dit que j’allais m’y plaire. Je me suis mis d’accord avec le président des Cormorans de Penmarc’h. Un de mes copains m’a dit que c’était la chance de ma vie, que les mecs donnaient tout, rentraient dedans. Je me rappelle que nous avons cogné la réserve de Nantes composée de supers joueurs (Suaudeau, Blanchet, Amisse). J’y suis resté 7 ans. Je m’y suis plu énormément. J’ai adoré leur mentalité. J’aurais bien aimé finir mes jours à Penmarc’h. Quand il y avait match Penmarc’h-Quimper, il y avait 5 000 personnes au stade. Les gens nous suivaient partout. Même encore maintenant, quand j’y retourne, les gens me disent que je reviens au pays.

Quelle était l’ambiance dans l’équipe du Stade Rennais à la fin des années ‘50 et début des années ‘60 ?

Il y avait une ambiance extraordinaire dans l’équipe. Il y avait beaucoup de joueurs célibataires et nous étions tout le temps ensemble. Nous mangions souvent ensemble dans un restaurant qui s’appelait " Le Continental ", non loin des Halles. Henri Guérin savait créer une bonne ambiance dans l’équipe. Il organisait par exemple des journées de chasse, des journées de pêche, des repas. Nous étions une vraie famille. À notre époque, lorsqu’un joueur était blessé ou absent, nous divisions les primes pas seulement entre ceux qui avaient joué mais entre tout l’effectif. En somme, nous nous auto-taxions pour leur en faire profiter. Nous trouvions cela logique.


22 mars 1959 : Mahi Khennane et Jacques Poulain à la suite de la victoire du Stade Rennais UC contre Lyon (3-2) en quart de finale de la Coupe de France joué au Parc des Princes.

Pourriez-vous décrire vos principales qualités et vos défauts ?

Concernant mes défauts, je n’étais pas une flèche. Par contre, j’étais très costaud physiquement. Techniquement aussi, j’étais bien armé. Et j’avais un excellent jeu de tête. On m’appelait tête d’or. Je pense que j’ai marqué autant de buts de la tête que du pied. J’avais un bon coup de rein, je montais bien. J’avais aussi de l’endurance. Parfois, quand nous nous entraînions à mi-bois, deux ou trois kilomètres avant d’arriver au stade, je lâchais tous les mecs. Quand ils arrivaient, j’avais déjà pris ma douche (rires).

Vous êtes toujours le 3ème meilleur buteur de l’histoire du Stade Rennais. Qu’est-ce que cela représente pour vous aujourd’hui ?

Ça me fait plaisir. Mais c’était mon boulot. Je l’ignorais jusqu’à aujourd’hui.

Durant votre carrière de joueur, quels joueurs vous semblaient supérieurs, comme gardien ?

Malgré tout ce que qu’on a pu en dire, je choisirais Louis Pinat. Pourtant, il avait une réputation de fêtard et de ne pas être trop sérieux… C’était un grand gardien avec un super dégagement.

Défenseur ?

Je dirais Yves Boutet et Louis Cardiet.

Milieu ?

Antoine Cuissard et Theo qui est le meilleur joueur avec qui j’ai évolué. Il m’a donné énormément de "bonbons". Il jouait souvent tout en déviation. Techniquement, à cette époque, c’était sans doute le meilleur technicien qui jouait en France.

Attaquant ?

Loulou Floch, sans contestation.

"Ce morceau de verre est resté dans mon pied pendant 2 ou 3 ans"

À votre époque, quelle était l’ambiance au Parc des Sports de la Route de Lorient ?

Le public était extra car il voyait que nous mouillions le maillot. Nous allions même boire souvent des coups avec les supporters, au " Football Bar " notamment.

Quelle était l’ambiance lors des matchs que vous jouiez à Paris ?

Dans tous les stades de France, il y avait un club de Bretons. A la fin des matchs, ils nous recevaient. Nous mangions des crêpes, nous buvions du cidre. À mon époque, en Bretagne, il n’y avait que le Stade Rennais.

Pourquoi n'avez-vous pas rejoint l'équipe du FLN (Front de Libération Nationale Algérien) lors de la première vague de départ des joueurs algériens en 1958 ou lors de la seconde vague en 1959 ?

En Algérie, il a toujours fallu que je m’explique sur ce sujet. Des joueurs algériens sont venus me voir deux fois. La première fois, j’étais militaire au 2ème CRT là où il y a actuellement le centre commercial des Trois Soleils. Ce jour-là, Mekhloufi et les deux frères Soukhane sont venus de Saint-Étienne pour me chercher. À la porte de ma caserne, ils m’ont fait appeler. Mais toute la caserne était " consignée ". Ils ont attendu un peu puis sont repartis. Le gardien m’a averti quelques jours après. Je ne savais pas.

La seconde fois, c’est arrivé alors que nous devions jouer avec Rennes à Saint-Étienne. Dans les jours précédents, j’ai reçu, à Rennes, Maouche qui jouait à Reims. Il m’a alors dit qu’il fallait que nous soyons à Genève le lundi suivant. Je l’ai arrêté tout de suite en lui expliquant que j’avais un match à Saint-Étienne et qu’en plus quelques jours avant, j’avais cassé ma voiture dans un accident et que je devais donc m’en occuper. Nous voilà partis à Saint-Étienne avec le Stade Rennais. À cette époque-là, j’avais un copain de Lyon qui venait me voir systématiquement. Mais ce jour-là, je ne l’ai pas vu. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Nous faisons le match et nous rentrons sur Rennes. Dans le train, les mecs avaient l’Ouest-France. À chaque fois que je le demandais à mon voisin, personne ne voulait me le donner. Juste avant d’arriver à Rennes, j’ai réussi à en récupérer un. En le lisant, je découvre qu’il y avait eu trois Algériens qui avaient été arrêtés à la frontière suisse et qu’ils avaient affirmé que je devais être avec eux. À la gare de Rennes, deux mecs avec des imperméables et des chapeaux ont voulu m’emmener à la préfecture. Le Président Girard est alors intervenu en leur disant que nous arrivions d’un long déplacement, que cela avait duré toute la nuit et que j’étais fatigué. S’ils voulaient me trouver, ils savaient où j’habitais et que cela pouvait attendre le lendemain. Et je n’en ai plus jamais entendu parler.

Ce n’est qu’après l’indépendance que Zitouni, qui jouait à Monaco et qui était un bon copain, m’a dit qu’avec l’équipe du FLN, ça avait été le bazar tout le temps.


12 novembre 1961 : Mahi Khennane sous le maillot français lors du match contre la Bulgarie à Sofia (défaite de la France 1-0).

Vous avez été appelé trois fois en Équipe de France, puis trois fois sous le maillot de l’Algérie devenue indépendante. N’étais-ce pas difficile de porter le maillot français en pleine guerre d’Algérie ?

À cette époque-là, j’étais encore Français. Donc je trouvais ça normal. J’avais les deux passeports : Français et Algérien. J’ai fait trois matchs en équipe de France : contre la Suisse à Paris, la Belgique à Bruxelles et contre la Bulgarie à Sofia.

Un jour, je reçois une convocation dans l’équipe de France B avec Yvon Goujon. Il me demande si je tiens vraiment à aller jouer avec l’équipe de France B. Il m’a dit alors : " Si t’en as, nous n’y allons pas ". Et nous n’y sommes pas allés. Mais nous aurions mieux fait d’y aller… Le dimanche, à la place, nous sommes allés jouer à Brest en amical. J’avais un cousin qui jouait à l’AS Brestoise que j’ai taquiné un peu à la fin du match car nous avions gagné 10-1. Il m’a alors tiré sur l’épaule. J’ai perdu l’équilibre et j’ai marché sur une bouteille de Vittel. La bouteille a explosé et j’ai eu la cheville toute ouverte. J’ai été recousu. Je suis resté deux mois sans pouvoir jouer. Pendant des années j’ai joué comme cela et voilà que je suis convoqué en équipe nationale d’Algérie pour jouer contre l’Allemagne. Nous gagnons (2-1). Je suis rentré à l’hôtel pour le repas commun et j’ai commencé à avoir des frissons : j’avais 40 degrés de fièvre. C’était tout de suite après l’indépendance et il n’y avait pas beaucoup de médecins. Heureusement il y avait mon ami Brahim Bourras qui connaissait un médecin, qu’il est allé chercher. J’étais en train de faire un début de septicémie. J’avais la jambe rouge. Je suis resté pendant quatre jours et quatre nuits à l’hôpital en Algérie avec plus de 40 degrés de fièvre. J’étais sous antibiotiques. À un moment donné, j’ai dit au toubib que je ne resterais pas là. Ils m’ont demandé de signer un papier et m’ont dit qu’en arrivant à Paris, il fallait que j’aille directement à l’hôpital. J’ai alors pris ma température dans l’avion : j’avais 37,5° de fièvre. Je suis alors rentré directement chez moi car avec si peu de fièvre, j’estimais que je pouvais rentrer directement à la maison. En arrivant chez moi, ma femme a regardé ma plaie et a commencé à écarter ma plaie au niveau du pied. Tout d’un coup, il y a eu une giclée de pus et un morceau de verre gros comme un ongle est sorti de mon pied. Ce morceau de verre est resté dans mon pied pendant deux ou trois ans. Il a fallu que j’aille jouer en Algérie, que je joue sur des terrains durs car ce n’était pas du gazon, pour que ce morceau de verre sorte ! Jusqu’ici, je n’avais rien senti.

Vous êtes aujourd’hui encore installé à Rennes. Pourquoi être revenu vivre ici ?

J’ai passé plus de temps à Rennes qu’en Algérie. Je suis arrivé à 19 ans et demi. Quand j’étais entraineur là-bas, je revenais une dizaine de fois par an à Rennes car j’en avais besoin. Je ne pourrais pas revivre là-bas même si j’y ai encore de la famille.


20 janvier 2018 : Khennane Mahi chez lui dans son appartement à Rennes.


L'envers du décor

C’est à Rennes dans un appartement tout simple situé à deux pas du cimetière de l’Est que Khennane Mahi m’a accueilli un après-midi de janvier 2018 et m’a accordé cette belle entrevue. De nouveau, ce fut un très bon moment avec quelqu’un de très simple et de très gentil. Ces anecdotes m’ont fait énormément rire. J’espère que cela a aussi été le cas pour vous. Merci énormément à lui pour ce témoignage.

Entrevue réalisée par @Mattcharp