Entrevue Yves BOUTET

Yves Boutet (dit Yvon) est le recordman de matchs joués avec le maillot Rouge et Noir. Entre 1955 et 1967, il a joué 394 matchs et était le capitaine stadiste lors de la première victoire rennaise en Coupe de France en 1965. Nous vous invitons à découvrir cet homme qui fait partie de l’Histoire du Club et dont le témoignage rempli d’anecdotes vous fera (re)découvrir l’histoire du club mais aussi le football d’une autre époque. Une rencontre qui a eu lieu à Lorient le samedi 6 mai 2017.

"Durant toute ma carrière professionnelle au Stade Rennais, je vendais des cuisines à mi-temps"

Pouvez-vous expliquer votre parcours de footballeur avant de signer au Stade Rennais en 1955 ?

J’ai commencé assez tard avec la TA Rennes, je devais avoir 13 ans. Puis, après mon certificat d’études, mes parents voulaient m’envoyer faire des études, mais moi je ne voulais pas. Le curé du coin voulait m’envoyer au petit séminaire car mon parrain était recteur à Saint-Armel, mais je ne voulais pas de ça non plus. Alors, j’ai dit à mes parents qu’il n’en était pas question, et que je voulais travailler.

Je voulais être à tout prix sculpteur ébéniste. Mon grand-père était charpentier, j’adorais le bois. Mes parents m’ont alors dit qu’ils allaient me trouver du boulot. Un jour, mon père arrive et me dit : "mon petit bonhomme, dans le bois aujourd’hui c’est la catastrophe, il n’y a plus de débouchés, on ne parle plus que de béton, de ferraille, il n’est pas question que tu ailles dans le bois. Je t’ai trouvé un boulot : tu vas rentrer comme typographe." Moi je me demandais ce que c’était que ça. C’était l’imprimerie et je suis rentré comme apprenti dans une boîte rennaise.

Mais je ne pouvais plus aller aux entraînements qui étaient le jeudi après-midi. Alors, on allait à l’entraînement le soir à 3 ou 4 avec Monsieur Batmale qui était un ancien entraîneur de Rennes. Ça marchait très bien : on devient champion minime de l’Ouest avec la TA, 2 années de suite. L’année suivante, je suis sélectionné cadet de l’équipe de l’Ouest. Dans la foulée, j’ai été sélectionné en équipe de France Junior durant 2 années de suite.

A partir de là, les dirigeants rennais dont Monsieur Batmale (qui était passé comme entraineur des jeunes) m’ont demandé de venir au Stade Rennais. J’ai alors changé de boulot et je suis allé travailler pour un journal, avenue de la gare. J’allais travailler le matin de bonne heure, à 6h au lieu d’aller à 8h. Par contre à 10h, on laissait partir pour aller m’entraîner au Stade Rennais. Voilà comment ça a démarré. J’ai signé comme stagiaire pour une année. J’avais 18 ans quand j’ai fait mon premier match.

Que connaissiez-vous du club lors de votre arrivée au SRUC ?

Quand j’ai signé au Stade Rennais UC, le club était en seconde division. À l’époque, il n’y avait pas de télé, pas de radio. On lisait Ouest-France tous les jours, et puis c’est tout. Quand j’étais jeune, pour aller voir les joueurs du Stade Rennais, on passait par-dessus des balustrades en bois pour ne pas payer et on allait voir le match.

Quel souvenir gardez-vous de votre premier match contre Sète le 23/10/1955 en Division 2 ?

Je m’en souviens très bien, j’ai fait un super match contre un super joueur de Sète, un centre avant. J’étais fier comme tout. Après je suis sorti de l’équipe, et puis j’ai rejoué. Quelquefois l’entraîneur me faisait jouer arrière, quelquefois il me faisait jouer demi-centre et puis quelquefois, je ne jouais pas.


Le 16 août 1959 : à Saint-Ouen, le Stade Rennais UC s'impose 2 buts à 1 contre le Stade Français.

Aviez-vous gardé votre travail tout en étant joueur ?

Les entraînements n’étaient que le matin, il fallait que je m’occupe. On avait beaucoup de temps libre. Après être devenu professionnel, Ouest-France m’avait proposé de retourner dans l’imprimerie. Mais moi je ne voulais pas retourner dans le "plomb."

Je connaissais un gars qui était un petit footballeur et qui avait monté une usine de fabrication de cuisines, Monsieur Fouchet. Un jour que je discutais avec lui, il me demande si ça ne m’intéressait pas de vendre ses cuisines. Moi j’avais tous mes après-midi, j’ai dit "ok" et j’ai donc commencé avec lui. Je gagnais presque plus de fric à vendre des cuisines qu’à jouer au foot. Il m’avait dit que je toucherais 10% de ce que je vendais. À ce moment-là, à Rennes, c’était le boom de l’immobilier. Ça construisait dans tous les coins. Les devis n’arrêtaient pas. Le fait que je jouais au club me faisait augmenter mes ventes. Quand j’allais au magasin pour recevoir des clients, Boulevard de la Liberté, tout le monde me reconnaissait, ça marchait bien. Durant toute ma carrière professionnelle au Stade Rennais, je vendais des cuisines à mi-temps. Mais ça ne plaisait pas aux dirigeants. Tous les joueurs de l’époque ne travaillaient pas et moi je les encourageais. Je leur disais : "Vous ne vous rendez pas compte, quand ils vont vous dégager, vous ferez quoi ?" Ils me répondaient : "on a le temps."

Vous participez 2 fois à la remontée du club à l’issue de la saison 1955/56 et 1957/58. Quel souvenir en gardez-vous de ces 2 remontées alors que vous n’aviez que 20 ans ?

C’était Artigas qui était l’entraîneur quand je suis allé faire des essais mais Rennes était en seconde division. En fin de saison, Artigas a été dégagé. Henri Guérin est arrivé comme entraîneur mais toujours en seconde division. Et cette année-là, on est monté pour ma première année avec les professionnels. On redescend directement la saison d’après et l’année suivante on remonte.

Ces années correspondent aux années où je faisais mon service militaire : on faisait deux ans et demi de service militaire à l’époque. Donc, c’était un peu particulier. Quand on est descendu, on a joué 3 matchs de barrages contre Lille. J’y avais plein de copains qui étaient avec moi au service militaire (dont Yvon Douis). Partout à l’époque d’ailleurs, quand on allait dans les clubs, on se retrouvait. En deux ans et demi de service militaire, on en fait des rencontres.

Fin 1957 et début 1959, vous jouez plusieurs matchs de Coupe de France en Algérie. Comment cela se passait-il ? (NDLR : 2 matchs contre le Gallia Alger en 1958 et en demi-finale de Coupe de France contre Sochaux à Oran)

On jouait sur des terrains stabilisés. Les terrains étaient raides comme tout. Le ballon rebondissait partout. On n’avait pas les chaussures comme maintenant. À Alger, on est resté sur place, on a joué quelques jours après. Ça me rappelait des souvenirs car à Alger, j’y avais passé un peu de temps lors de mon service militaire.

"En 1965, si on n’est pas pris par la Coupe, ce n’est pas Nantes qui est Champion, c’est Rennes !"

Comment se passent les saisons de 1958 à 1964 ?

Tous les ans, on savait qu’on n’allait pas être champion de France. En 1965, si on n’est pas pris par la Coupe de France, ce n’est pas Nantes qui est Champion, c’est Rennes ! On avait battu Nantes et on a laissé un peu courir à cause de la Coupe. Mais sinon on a terminé 4ème et normalement on aurait dû finir Champion.

Pouvez-vous nous raconter le Parcours en Coupe de France 1965 ?

En demi-finale, on avait fait un match extraordinaire dans l’ancien Parc des Princes contre Saint-Etienne (NDLR : le 30 avril 1965). On les avait ridiculisés (3-0). On se disait que personne n’allait nous arrêter. En plus, j’avais des copains à Saint-Etienne, on se connaissait forcément. Et là, dans le baba ! Car Saint-Etienne, c’étaient des petites vedettes. Le meilleur de tous, c’était Robert Herbin. On ne pouvait pas se voir alors qu’on avait joué ensemble en Espoir. Il était méchant sur le terrain, il faisait partie des gars qui mettaient déjà la semelle comme Coco Ascensio qui le faisait aussi. Il poussait le ballon et là, clac, il mettait la semelle sur les chevilles.


Le 27 mai 1965: Yves Boutet, de retour dans les vestiaires, fête la victoire en buvant directement dans la Coupe.

Lors de la première finale, on est arrivé trop sûrs de nous. On s’est dit ceux-là, on va se les balader. Eux sont arrivés remontés. Et au final on s’en sort très bien. Un pénalty est oublié pour Sedan et avait été compensé lors de la seconde finale. C’était l’arbitrage de l’époque. Sur le second match, on s’est dit qu’ils étaient passés à travers lors de la première finale, ils ont raté leur coup, donc maintenant on va se les faire et là ça n’a pas manqué, sans aucun problème.

En tant que capitaine rennais, quel était votre sentiment lorsque vous avez reçu la 1ère Coupe de France gagnée par le Stade Rennais ?

C’est Maurice Herzog, Ministre des Sports et ancien alpiniste qui avait perdu les doigts lors d’une expédition dans l’Annapurna qui m’a remis la Coupe. Quand il m’a serré la main, ça m’a fait drôle car il n’avait plus de doigts. Je vois encore ma femme le bousculer pour venir toucher la Coupe. Ça ne se ferait plus aujourd’hui. La seule chose que j’ai toujours regrettée c’est que De Gaulle ne soit venu à aucune des finales. C’est Pompidou le Premier Ministre qui est venu à la première finale et Herzog à la seconde.

Trois jours après la finale, le 30 mai 1965, vous partez jouer à Strasbourg et vous gagnez là-bas 3 buts à 2. Comment s’est passé ce match après les festivités liées à la victoire ?

On va gagner à Strasbourg bien qu’on ait bien fait la fête après la victoire. Mais attention, à la mi-temps à Strasbourg et pour nous embêter, ils nous avaient mis du vin d’Alsace dans les vestiaires. Nous on s’est dit qu’on s’en foutait de ce match et on a bu toutes les bouteilles de vin. Résultat, on gagne ce match 3-2 dans les dernières minutes. A la fin du match, on leur dit : "Vous auriez pu en ramener.". Et là, ils nous répondent que c’était pour les emmener à Rennes, pas pour les boire à la mi-temps. Sauf que nous, on les avait liquidées.


Le 30 mai 1965 : une foule immense accueille les vainqueurs de la Coupe.

Comment avez-vous été accueillis par les Rennais lors de votre retour ? Avez-vous été surpris ?

On avait eu un accueil incroyable. Renault avait prévu des petites voitures : c’étaient des Florides décapotables. Mais c’était impossible, il y avait trop de monde. Ils ont été vite fait chercher un camion de la brasserie La Meuse. On est monté dedans : on a pris l’avenue de la gare : plein de monde ; on a pris les quais : plein de monde ; on passe devant La Poste à République : plein de monde ; on est monté vers la mairie : plein de monde. Il y avait la foule partout, et aussi énormément de monde sur les balcons.

Le match de Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe contre le Dukla Prague le 22 septembre 1965 est-il votre seul match officiel à l’étranger ?

Effectivement, on joue à Prague en Coupe d’Europe. On avait fait un très bon match là-bas en Tchécoslovaquie, sérieux mais on est quand même battu à l’issue d’un match viril, un super match. A l’étranger on était aussi allé jouer un match en Italie à Gênes en Coupe franco-italienne.

Vous partez à la fin de la saison 1966/1967 vers le FC Lorient ? Pourquoi ?

A un moment, j’en ai eu ras le bol. Comme ça marchait bien les cuisines, j’ai posé la question à Rennes : j’ai proposé de rester à mi-temps au club comme joueur, et entraîneur des amateurs en me disant que s’ils avaient besoin de moi en professionnel, ils me feraient jouer en pro. Ils m’ont répondu qu’il n’en était pas question et qu’ils allaient me transférer. Je leur ai répondu qu’ils pouvaient essayer de me transférer mais que je n’irais nulle part. Je pense que Jean Prouff ne voulait pas m’avoir derrière lui car il sentait que j’aurais pu bouffer sa place.

Les journalistes ont alors annoncé que j’allais quitter le Stade Rennais. J’ai eu des contacts de partout : Orléans, Châteauroux, Brest, Quimper, Morlaix. Ils voulaient tous m’avoir comme joueur/entraîneur. J’étais toujours sous contrat professionnel avec Rennes et donc il fallait d’abord que le Stade Rennais me libère car j’étais lié au club jusqu’à mes 35 ans. Au final Rennes m’a libéré et Lorient a mis le paquet pour que je vienne. J’ai donc décidé de venir au FCL. J’ai amené beaucoup d’anciens rennais avec moi (dont Mahi qui était parti à Toulouse entre temps, Ascensio, Darchen).

A l’époque il fallait faire une simple demande pour qu’un club devienne pro s’il avait les joueurs professionnels et les finances. Quand je suis arrivé à Lorient, le club devait être normalement en Division d’Honneur ou en CFA de l’époque. Mais vu que plein de professionnels étaient arrivés, le club est devenu pro et a basculé directement en seconde division.


Le 22 septembre 1965 : le Stade Rennais UC s'incline à Prague contre le Dukla (2-0) en Coupe des Vainqueurs de Coupe.

Qu’avez-vous fait par la suite jusqu’à la retraite ?

J’ai été entraîneur de Lorient pendant 6 mois après le départ d'Antoine Cuissard, mais je n’avais qu’une partie de mes diplômes pour entraîner en pro. Je suis devenu ensuite adjoint puis entraîneur de l’équipe amateur du FC Lorient tout en continuant à vendre des cuisines.

Un jour, un représentant de chez Adidas est venu me voir en me proposant de devenir représentant pour eux. Je suis allé voir le président de Lorient qui m’a dit de répondre favorablement car je ne gagnerais jamais autant d’argent dans le foot que comme représentant. Il m’a dit que je ne lui devais rien du tout. Il m’a juste demandé de m’occuper des amateurs jusqu’à la fin de saison. À l’époque, il y avait dix représentants sur la France. Je suis rentré chez Adidas le même jour que Roger Piantoni, le même jour. J’avais tout le grand Ouest et j’ai terminé ma carrière en ayant les quatre départements bretons.

Vous êtes toujours le recordman de matchs joués avec le Stade Rennais avec 394 matchs. Qu’est-ce que cela représente pour vous encore aujourd’hui ? Comment expliquez-vous cette longévité ?

Moi je n’avais pas envie de partir de Rennes. Un jour le club voulait me transférer à Grenoble. Moi j’ai dit : "Mais vous rigolez ou quoi ? Le club vient de monter, moi je ne veux pas aller là-bas." C’est Jo Donnard qui est allé là-bas. Plus tard, j’aurais dû signer à Nice, je ne l’ai su qu’après par l’entraîneur d’alors. À l’époque, j’étais lié au Stade Rennais jusqu’à 35 ans et le club faisait ce qu’il voulait de moi.

Au cours de ces 394 matchs vous avez marqué un seul but à Rouen le 22 novembre 1965. En gardez-vous un souvenir particulier ? Est-ce un regret de ne pas avoir marqué plus de buts ?

Il paraît oui, mais je ne m’en rappelle même pas. Non ce n’est pas un regret. À l’époque, les arrières restaient derrière. On ne montait pas. Il y avait deux milieux de terrain, deux demis, deux inters, ils étaient à quatre au milieu de terrain et deux attaquants, et nous derrière on ne bougeait pas. À Nantes en 1964 (NDLR : le 22 novembre 1964 : Nantes - Rennes : 2-3), j’ai quand même failli marquer. En seconde mi-temps, je me retrouve seul et je vais vers le gardien de but, mais je n’avais pas l’habitude donc je rate.

Durant votre carrière au Stade Rennais, quels joueurs vous semblaient supérieurs ?

  • Un gardien : On a eu Loulou Pinat, on a eu D’Arménia, on a eu Rouillé, on a eu Ferry. Mais tout ça, ça n’a pas duré longtemps. Il y a eu Bernard Josse, qui est toujours resté amateur et qui était un excellent gardien et qui venait de la TA aussi. Il jouait toujours sur son placement. Je dirai presque que c'était lui qui avait le plus de classe. Mais il n’avait pas l’esprit pour devenir pro. Mais en terme de placement, il était extraordinaire. Il plongeait très peu, il était toujours dans l’anticipation. Loulou Pinat aussi. Ça serait les 2 meilleurs. Rouillé, Ferry et Lamia étaient de bons gardiens, mais ce n’étaient pas des super.

  • Un défenseur : Je pense que c’est René Cédolin. C’était un calme, posé, un caractère très proche du mien. Avec lui, on s’entendait très bien. On n’avait pas besoin de se parler. Quand il montait, automatiquement, je restais placé.

  • Un inter ou un Demi : Théo (NDLR : Théodore Szkudlapski) qui avait la super classe mais n’était pas très sérieux.

  • Un attaquant : Khennane Mahi de loin. C’était la grande classe, techniquement, physiquement, mentalement. C’était vraiment un type super.

  • Un entraîneur : Pour moi, le meilleur c’était Henri Guérin et de loin. Il avait sa façon de jouer qui, il est vrai, était très défensive, mais il y avait des consignes précises.

Avez-vous le souvenir de rencontres houleuses ?

À Angers, il y a eu un match où j’ai été sorti par l’arbitre. (NDLR : le 13 octobre 1963 : Angers - Rennes : 1-1). L’arbitre était au bataillon de Joinville avec moi. Il siffle pénalty à quelques minutes de la fin. Tout le monde va l’entourer immédiatement. Moi j’y vais car j’étais capitaine. Il aurait reçu un coup de pied dans les chevilles. Il se retourne vers moi et me dit :

  • "Yvon, dehors !
  • Mais, je n’ai rien fait moi, je ne vais pas sortir
  • Dehors !" Le délégué est alors venu et je suis sorti, mais je leur ai dit que j’irais me défendre à la commission de discipline à Paris. J’y suis allé et finalement c’est mon pote arbitre qui a été suspendu pendant trois matchs. Moi je n’ai été suspendu que le match automatique. J’ai su après que c’était Coco Ascensio qui lui avait balancé une petite lame dans les chevilles.


Le 13 octobre 1963 : à la fin du match SCO Angers-Stade Rennais UC, Yves Boutet qui vient d'être expulsé est en pleine discussion avec le délégué du match, Mr Alleman.

Comment êtes-vous devenu capitaine du Stade Rennais ?

Partout où j’ai joué, j’ai été capitaine : en sélection Cadet de l’Ouest, j’étais capitaine ; en équipe de France junior, j’étais capitaine ; en équipe de France militaire, j’étais capitaine ; et quand je suis arrivé à Rennes, j’ai été capitaine assez rapidement. Je ne sais pas pourquoi.

Lorsque vous jouez au Stade Rennais, quelle était l’ambiance au Stade de la Route de Lorient ?

Il y avait une bonne ambiance, il n’y avait pas de voyous. On était soutenu mais on se faisait aussi siffler quand il y avait des choses qui n’allaient pas. Je me rappelle d’une histoire avec Yvon Goujon. Yvon c’était un peu un touriste mais doué, même super doué : bon de la tête, bon techniquement et physiquement. Lors d’un match, on fait une première mi-temps nulle, archi-nulle. Il se fait siffler en rentrant aux vestiaires. Il revient en deuxième mi-temps et marque 2 ou 3 buts. Et là à la fin du match, il a fait tout le tour du terrain en faisant des bras d’honneur au public.

Comment s’effectuaient les déplacements à l’époque ?

La plupart du temps, on partait de Rennes le vendredi midi. On arrivait à Paris le vendredi soir. On mangeait à Paris, on prenait un train de nuit à la gare de Lyon. On arrivait le samedi matin et on jouait le dimanche après-midi. Après le match, on reprenait le train couchette de nuit direction Paris et on arrivait à Rennes le lundi midi.

Avez-vous des anecdotes sur vos années Rennaises ?

J’en ai plein !

Comme il y avait des amendes, on avait une caisse avec laquelle on allait faire la fête en fin de saison. On allait systématiquement en car au Mont-Saint-Michel pour casser la croûte et après on prenait la direction de Saint-Malo pour aller au Casino. Ça se passait bien mais une année, on avait fait un peu le bazar. Il y a eu quelques trucs qui avaient été cassés. L’année suivante, rebelote, mais là nous étions attendus. Il y avait un comité d’accueil pour nous empêcher de rentrer. Nous, on avait quelques ‘’mules’’ comme Gilbert Robin. Résultat, on a tout cassé et on s’est même bagarré avec les flics dès qu’ils sont arrivés. On a tous fini au bloc. Après quelques heures, ils n’en ont gardé que deux qui avaient la gueule esquintée. En rentrant à Rennes, j’ai appelé le Président du club Mr Girard qui m’a répondu qu’on n’avait qu’à se tenir et qu’on devait se débrouiller tout seuls. Je suis allé voir un autre dirigeant, Monsieur Pleyer en lui disant qu’il fallait faire quelque chose car il y en avait deux qui étaient restés au bloc. On est allé voir le préfet qui nous a dit de ne pas nous inquiéter, qu’il allait arranger ça, ce qu’il a fait en toute discrétion (même si certains journalistes ont eu vent de l’histoire).

Il y a aussi eu un match (NDLR : le 20 août 1968 Stade Français - Rennes : 2-2), avec Jacques Rouillé notre gardien qui a reçu un gros choc contre la tête. C’est René Cédolin, un de nos défenseurs, qui l’a remplacé car il n’y avait pas de remplaçants à l’époque. Jacques était bien esquinté. Une autre fois, on va jouer deux matchs amicaux contre une équipe avec Di Stephano et Puskas en Espagne à Bilbao et Santander où il n’y avait quasiment que des joueurs du Real. Moi je marquais Gento. Je fais un match extraordinaire. A un moment Gento déboule sur le côté gauche, mais attention c’était une fusée. Jacques Rouillé sort et le gars lui rentre dedans et paf, rebelote, il ne bouge plus.

Je me rappelle aussi d’un match à Monaco. A la mi-temps, on est largement mené. Cuissard, nous dit "continuez à jouer comme ça, marquage individuel strict sans couverture.". Moi je me dis qu’on va en prendre 6 et que ce n’est pas possible. Le Président Girard arrive dans les vestiaires, bourré, ratatiné : il avait été bien reçu par les dirigeants de Monaco : "Eh bande de faignants, vous allez vous bouger votre c.., et toi aussi…" dit-il en me regardant. Je lui dis en le prenant par le colback : "Dégage de là, toi ! Dehors ! On n’a pas besoin de toi dans les vestiaires." L’entraîneur : pas un mot. Tout le monde dans les vestiaires : pas un mot. Je rentre avec les joueurs sur le terrain, j’étais capitaine. Je dis : "L’entraîneur est gentil, mais on ne va pas être ridicule, on change notre système. Plus de marquage individuel, on fait de la zone et marquage derrière renforcé." On perd néanmoins le match.

En rentrant à la maison, je dis à ma femme que je vais être convoqué car j’ai pris le président par le colback. Le lundi soir, je suis convoqué par un dirigeant, Monsieur Pleyer, qui était quelqu’un de très sympa. Il me dit : "Je vous félicite, vous vous êtes comporté comme un homme." Fin de l’histoire

Vous avez été le joueur d’un seul club, mise à part une brève parenthèse lorientaise. Avez-vous l'impression que de n'avoir joué qu'à Rennes a été préjudiciable à votre carrière sportive notamment en Equipe de France ?

Je pense que si Rennes m’avait laissé partir à Nice comme je l’ai su après, j’aurais eu mes chances.

Etes-vous surpris qu’un joueur comme Romain Danzé soit aujourd’hui en mesure d’égaler voire de dépasser votre record ?

J’ai vu qu’on parlait il y a quelque temps qu’il pourrait battre mon record. Ça serait bien si c’était lui qui me battait. D’abord c’est un Breton et il n’y en a pas beaucoup. Ca me ferait vraiment plaisir que ce soit lui qui le batte.


Le 6 mai 2017 : Yves Boutet chez lui à Lorient lors de notre entrevue.


L'envers du décor

C’est à Lorient, dans son petit pavillon tout simple de quartier qu’Yves Boutet m’a reçu pour cette entrevue un samedi du mois de Mai 2017. Avant même que je ne commence à lui poser des questions, il me raconte ses débuts, sa carrière et beaucoup d’anecdotes complétées par sa femme. A plus de 80 ans, Yves Boutet demeure quelqu’un de passionné de foot, qui continue à regarder les matchs à la télé et à se rendre de temps à autre au stade. Cette entrevue qui a duré un peu plus d’une heure aurait pu durer encore davantage : en jouant 394 matchs avec le Stade Rennais, Yves Boutet a accumulé tellement de souvenirs que cette entrevue est loin de tout relater.

Je remercie vraiment sincèrement Yves Boutet pour cette belle rencontre, avec un homme qui a marqué l’histoire du Stade Rennais et du football en Bretagne.

Entrevue réalisée par @Mattcharp