Entrevue Marcel AUBOUR

Le truculent Marcel Aubour a marqué d’une empreinte indéniable son passage au Stade Rennais UC. Le gardien de but Tropézien, mis sur la touche par l’OGC Nice à 29 ans après avoir été titulaire avec l’Équipe de France lors de la Coupe du Monde 1966 en Angleterre, est arrivé en décembre 1969 pour aider le Stade Rennais à se maintenir en première division. Mais toute la Bretagne a retenu sa fantastique saison 1970/1971 où il fit partie des héros de la conquête de la seconde Coupe de France des Rouge et Noir. Le match retour en demi-finale contre l’Olympique de Marseille, Route de Lorient, en fut l’apogée.

• Né le 17 juin 1940 à Saint-Tropez (83)
• Gardien de but
• Premier match avec le SRUC : Stade Rennais UC-FC Rouen (1-1) du 25 janvier 1970
• Dernier match : Stade Rennais UC – Paris SG (1-1) du 20 mai 1972
• 109 matchs joués avec le Stade Rennais UC
• Carrière professionnelle : Olympique Lyonnais (1960-1966), OGC Nice (1966-1970), Stade Rennais UC (1970/1972), Stade de Reims (1972-1977)
• 20 sélections en Équipe de France A

"Le Stade Rennais pratiquait un des meilleurs footballs offensifs du Championnat"

Marcel, comment es-tu arrivé au Stade Rennais UC à 29 ans en décembre 1969, à une période où beaucoup d’observateurs du football t’avaient quasiment oublié ?

Je ne jouais plus alors que j’étais encore sous contrat avec l’OGC Nice. Le gardien numéro 2, qui était mon meilleur ami, jouait. Je suis donc rentré au pays à Saint-Tropez, afin de ne pas lui faire de l’ombre. J’avais prévu d’y reprendre le restaurant de mon oncle. C’est là qu’à la trêve de Noël, Jean Prouff, l’entraîneur du Stade Rennais, qui avait Gérard Lefillatre dans les cages à l’époque, m’a téléphoné pour savoir si cela m’intéressait de venir jouer en Bretagne. Puis, Monsieur Rohou, le Président du Stade Rennais UC et qui était aussi le maire de Carhaix (Finistère) m’a fait monter à Paris pour le rencontrer avec Monsieur Prouff. À l’époque, un joueur professionnel appartenait au club jusqu’à ses 35 ans. Constatant les discussions, le Président Niçois, Monsieur Loeuillet, ne voulait plus me lâcher. Après discussions, les dirigeants se sont mis d’accord pour que je sois transféré pour une somme équivalente à 2.000 euros d’aujourd’hui.

Comment s’est passée ton intégration dans ton nouveau club ?

Au départ, je suis arrivé pour six mois. Je suis monté seul à Rennes car ma femme et moi ne savions pas si cela allait fonctionner avec Rennes. Pour jouer au football, il vaut mieux être dans le Nord de la France que dans le Sud. Dans le Sud, nous sommes un peu fainéants. Je me rappelle que quand je suis arrivé à Nice, j’ai regretté d’avoir quitté Lyon pour cette raison. À Rennes dès le départ, j’ai beaucoup travaillé et j’ai sorti de gros matchs. Comme cela a bien fonctionné, j’ai reprolongé pour deux ans sans attendre la fin de saison et ma famille a pu me rejoindre en Bretagne.

Comment considérais-tu le Stade Rennais à cette période ?

À la fin des années '60, le club avait une bonne image. Le Stade Rennais pratiquait un des meilleurs footballs offensifs du Championnat de France à une période où le béton (Ndlr : terme qualifiant une tactique ultra-défensive) était roi. Jean Prouff en avait horreur. Et c’est vrai que le Stade Rennais jouait bien au ballon. Avant d’arriver, le Stade Rennais UC venait de réussir un exploit, juste avant la trêve de Noël en battant l’AS Saint-Étienne (1-0) qui était 1er au classement de Division 1 alors que Rennes était dernier. Je me rappelle aussi que nous avions fait un super match au Stade Saint-Symphorien face au FC Metz (2-1) où nous les avions dominés, mangés et pourtant nous avions perdu car malheureusement, nous n’avions pas pu concrétiser nos occasions de but. À cette époque, il nous manquait un vrai avant-centre : Serge Lenoir était encore en début de carrière, Ilija Lukic, un attaquant Yougoslave, était un peu léger. C’est à cette époque que les dirigeants Rennais ont recruté André Guy à l’Olympique Lyonnais.

Dans quel état d’esprit es-tu arrivé au Stade Rennais ?

Déjà, en arrivant, j’étais super content de rejouer. J’ai été très bien accueilli à Rennes comme partout ailleurs où je suis passé. Jean Prouff a été super sympa avec moi. Au Stade, ce qui m’a surpris dès le début, c’est qu’il y avait une super ambiance dans l’équipe. Tous les mercredis, nous allions faire un footing dans une forêt autour de Rennes. Puis, quand nous revenions, nous payions à tour de rôle le Champagne à toute l’équipe. Ça contribuait à mettre une bonne ambiance entre joueurs et ça aidait à l’intégration des nouveaux.


Février 1972 : l’effectif du Stade Rennais s’entraîne sous la houlette de René Cédolin.

"Le président de l’OGC Nice était vert"

Comment as-tu été accueilli par les supporters rennais ?

Très très bien. Je me rappelle encore comment se passait la sortie en voiture de l’enceinte du Stade de la Route de Lorient. La plupart du temps, nous jouions le dimanche après-midi. En quittant l’enceinte du stade, les supporters m’interpellaient pour rester boire un verre avec eux dans les bars qui s’alignent Route de Lorient. C’est pour ça que, dès le départ, je leur ai plu. C’étaient de vrais supporters, passionnés par le football et par leur club. C’est pour ça que j’ai eu d’entrée la cote auprès d’eux et qu’ils m’ont accepté rapidement.

Et tu remportes même l’Oscar Byrrh du meilleur joueur du mois d’Avril 1970, preuve de ton retour au premier plan.

Oui. Je l’ai reçu dans les locaux Ricard à côté de Rennes. Le président de l’OGC Nice était vert. En tout, je l’ai gagné trois fois : une fois avec Lyon, une fois avec Nice et donc une fois avec Rennes.


Avril 1970 : Marcel Aubour pose avec le trophée Byrrh entouré de tout l’effectif professionnel du Stade Rennais UC.

À ton arrivée à Rennes, le Stade Rennais était dernier de Division 1. Que manquait-il à cette équipe pour viser plus haut ?

Il ne manquait pas grand-chose. L’équipe jouait bien au ballon, se procurait des occasions de but. Il leur manquait juste de marquer un ou deux buts ainsi que de la confiance. Nous avons gagné un match, puis un second match, puis un troisième. Nous sommes remontés au classement pour finir par nous sauver en étant 14ème. Notre épopée en Coupe de France nous a aussi aidés.

Justement, peux-tu nous raconter ce parcours surprenant en Coupe de France ?

Au Havre en Coupe de France, nous avions fait ce match en 16ème contre le Sochaux de Georges Lech, et Michel Watteau. Nous étions menés (0-2) à la mi-temps et nous avons réussi à gagner (3-2). Cette qualification a déclenché une très belle fin de saison. Nous avons ensuite éliminé l’Olympique Lyonnais en 8ème sur 2 matchs. Puis, nous avons rencontré Limoges Football Club. Au match retour, en première mi-temps, j’ai ressenti une petite douleur aux adducteurs. J’ai alors demandé à Jean Prouff de faire rentrer le "petit" (Ndlr : Daniel Bernard) pour qu’il joue un peu sur cette 2ème partie de saison. Nous sommes allés jusqu’en demi-finale de la Coupe de France face à l’AS Saint-Étienne où nous avons été éliminés à l’issue des 2 rencontres. Là-bas, nous avions joué avec une attaque Rico, Mosa et Lenoir, et malgré cette attaque inédite, nous nous étions procurés de sérieuses occasions. L’ASSE, futur vainqueur de l’épreuve, s’en était bien tirée. L’année suivante, nous gagnions la Coupe de France.

"Nous avions enchaîné une série canon avec cinq victoires consécutives"

La saison suivante, après un début de saison en fanfare en Championnat (3e des matchs aller), le SRUC finit 11e. Quels souvenirs gardes-tu de la saison 1970/1971 ?

Nous avions fait un début de championnat poussif et avions enchaîné une série canon avec cinq victoires consécutives. Nous étions restés longtemps 3e et après nous avions chuté au classement. En début de saison, nous avions gagné (1-5) à Saint-Ouen face au Red Star et j’y avais arrêté un pénalty. À Saint-Ouen, il n’y avait que des Bretons. Quand le Stade Rennais jouait à Paris ou en région Parisienne, il y avait systématiquement entre 10 000 et 15 000 Bretons. Tout le quartier de Montparnasse y assistait. Quand nous allions à l’hôtel dans le quartier, c’était fabuleux.


12 août 1970 : Stade de la Route de Lorient - L’équipe du Stade Rennais UC pose avant le match contre le Stade de Reims (0-0). Debouts : Alain Cosnard, Marcel Aubour, Zygmunt Chlosta, René Cédolin, Louis Cardiet (c), Pierre Garcia. Accroupis : Serge Lenoir, André Betta, Daniel Rodighiero, Raymond Kéruzoré et Robert Rico.

À l’époque, nous n’avions pas un gros effectif, nous étions une quinzaine. C’est pour cela que nous étions renforcés par des joueurs amateurs comme Philippe Redon. Quand nous faisions des matchs d’entraînement, nous jouions l’équipe des "jeunes" contre l’équipe des "vieux". Jean Prouff, était parfois obligé de jouer, car quand nous n’étions que 13, il faisait le 14e joueur pour faire un 7 contre 7. C’étaient toujours les mêmes joueurs qui étaient titulaires. Ils ne soufflaient pas. Seul Naumovic qui avait 35 ans, était ménagé par Jean Prouff. Nous en avions besoin au milieu de terrain car il savait garder la balle. À côté de lui au milieu, Pierrot Garcia jouait tous les matchs, tout comme notre défense avec les 4 C : Cosnard, Chlosta, Cédolin, Cardiet. En attaque, c’était pareil pour André Betta, André Guy, Robert Rico et Raymond Kéruzoré. Les mecs jouaient tous les matchs. Comparativement, aujourd’hui, à l’entraînement, ils sont 40.000… À un moment, nous n’avions plus de jus. Et en fin de saison, nous avons terminé 11e.

Hormis les matchs de Coupe, quel match de la saison 1970/1971 t'as le plus marqué ?

J’ai le souvenir d’un match amical joué contre Benfica avec Eusebio à Colombes, match que nous avions perdu. Il devait y avoir plus de 35.000 spectateurs dont 30.000 Portugais : c’était incroyable. (Ndlr : 11 novembre 1970 : Stade Yves du Manoir de Colombes : Stade Rennais UC – S.L. Benfica Lisbonne (0-2).


11 novembre 1970 : Stade Yves du Manoir de Colombes : Stade Rennais UC – SL Benfica (0-2) - Marcel Aubour intercepte le ballon devant Jorge Calado.

**Le parcours en Coupe de France 1971 commence par un match contre une équipe du National en 32e de finale ? **

Oui, nous avons joué contre ’US Quevilly au Stade Jean Bouin de Paris (4-1). À 5 minutes de la mi-temps, alors que cela faisait (1-1), j’arrête un pénalty. Je savais où le tireur allait la mettre et je le lui ai arrêté. Ça les a tués car nous sommes rentrés à la mi-temps avec le nul et leur avons filé leur reste à la reprise.

En 8e de finale, le SRUC rencontre le CA Mantes la Ville en match aller / retour, une équipe du CFA (4e Division). Peux-tu nous dire quelques mots sur cette confrontation rocambolesque ?

Au match aller, nous les avions dominés tout le match. Je n’avais pas touché un ballon. Le gardien de Mantes avait fait des miracles. Nous avions marqué sur pénalty ubuesque. Oh peuchère. Le gardien a été pris de crampes et s’est allongé au sol alors qu’il avait le ballon encore dans les mains. Melloni, un défenseur qui était un ancien professionnel, lui a pris le ballon avec les mains et l’a lancé dehors. L’arbitre ne pouvait que siffler le pénalty. Ils l’avaient mal pris. Au match retour, nous avions joué à Mantes la Ville, une ville où il y avait beaucoup de meurtres à l’époque. Oh Misère : ils l’avaient très mauvaise. Soi-disant qu’au match aller, j’avais cassé la jambe d’un de leurs joueurs. René Cédolin, qui jouait en défense centrale et qui est originaire de pas loin, m’avait prévenu que des spectateurs allaient me prendre pour cible pour le match retour. La presse locale avait fait une espèce de cabale contre moi pour essayer de me déstabiliser. Elle avait annoncé que c’était Aubour qui avait cassé la jambe de leur joueur, alors que non. Nous avions pris un but d’entrée dès la 1ère minute de jeu. C’est Ilija Lukic qui avait égalisé. Finalement, nous avions fait (1-1) et nous sommes qualifiés pour le tour suivant. Ma sortie du terrain a été … animée.


11 avril 1971 : CA Mantes-la-Ville - Stade Rennais UC (1-1) - Marcel Aubour agressé (source : Ouest-France).

Arrive le quart de finale contre l’AS Monaco, alors en Division 2.

Nous perdons là-bas (2-0) au match aller mais et nous renversons le score au match retour en les balayant (4-0)(https://rougememoire.com/game/rennes-monaco-4-0-1971-5-5) dont 3 buts dans le 1er quart d’heure. Nous ne les avions pas laissé respirer.

"Jean Prouff nous avait tout annoncé avant : les défaites en Championnat et en match aller de Coupe de France, la victoire au match retour avec la qualification pour la finale aux tirs au but"

Quatre jours avant la demi-finale aller face à l’Olympique de Marseille, vous perdez largement en championnat au Vélodrome.

Pour préserver certains titulaires avant la demi-finale aller, Jean Prouff avait fait jouer une équipe mixte avec des titulaires et des remplaçants face à l’OM. Nous avions perdu très largement (5-0). J’étais déçu car beaucoup de mes amis et des membres de ma famille étaient présents au Vélodrome ce soir-là. Cette victoire leur a donné beaucoup de confiance. Ça leur a donné des "bras". Lors de ce match, j’arrête un pénalty de Josip Skoblar (70’). Je ne savais pas bien où il allait tirer. Mais Josip n’était pas un vrai tireur de pénalty, par rapport à Delio Onnis par exemple. Delio arrivait, lui, calmement. Josip était beaucoup trop nerveux.

Quatre jours plus tard, la demi-finale aller de Coupe de France vous oppose de nouveau à l’OM au Stade Vélodrome.

Entre les deux matchs à Marseille, nous étions restés sur place, au Lavandou (Var). Le soir de la demi-finale, quand nous sommes arrivés en car au Vélodrome, tous les supporters Marseillais nous chambraient en nous disant que nous allions en reprendre 5 ou 6. À la sortie, l’OM a péniblement gagné (1-0) sur un but de Josip Skoblar, qui en plus a fait une faute sur René Cédolin. Sans cela, nous aurions fait match nul (0-0).

Cette fameuse demi-finale retour à Rennes arrive. (Ndlr : 1er juin 1971 : Stade Rennais UC – Olympique de Marseille (2-1) puis 3 tirs au but à 1)

Cette demi-finale retour a été très spéciale. Ce sont les spectateurs qui ont porté l’équipe jusqu’à la victoire. Il y avait une ambiance incroyable. Les Bretons ont chanté pendant 3h. C’était de la folie. Ceux qui étaient au match doivent s’en rappeler, impossible d’oublier ce match. Les joueurs n’avaient pas d’autre choix que de courir. Robert Rico n’avait jamais autant couru de sa vie. Jean Prouff nous avait tout annoncé avant : les défaites en Championnat et en match aller de Coupe de France, la victoire au match retour avec la qualification pour la finale aux tirs au but. Et cela s’est passé exactement comme cela. Au match retour, Route de Lorient, l’OM marque d’entrée. A l’époque, le but à l’extérieur ne comptait pas double. Nous revenons à (1-1) puis (2-1) grâce à André Guy. Nous sommes allés en prolongations puis aux tirs au but. C’était du délire.

"En ratant ce tir au but, André Betta venait de faire ma gloire !"

Peux-tu nous raconter cette séance de tirs au but ?

Au moment de la séance de tirs au but, j’avais les crocs. Les joueurs n’étaient pas rassemblés sur la ligne médiane comme aujourd’hui, mais se situaient aux 16 mètres. Beaucoup de gens étaient rentrés sur le terrain. Avant le début de la séance, nous discutions avec beaucoup de personnes extérieures. C’est inimaginable aujourd’hui. La séance démarre. Josip Skoblar, dont j’avais arrêté un pénalty en championnat une semaine plus tôt, s’est élancé, et a tiré au-dessus de ma barre transversale et a cassé le "Panzani", le panneau publicitaire situé au-dessus de la tribune. Ça les a tués d’entrée. Puis, il y a eu l’histoire avec Roger Magnusson. Au match aller en championnat à Rennes, je lui avais repoussé un pénalty.
Avant que la séance démarre, je lui ai glissé que c’était un signe et que j’allais aussi lui arrêter son tir. Au moment du tir au but, Magnusson m’a eu car il est venu me voir et m’a dit qu’il allait le tirer au même endroit et le réussir cette fois. Sauf que je ne l’ai pas cru. Au moment où il s’est élancé, j’ai compris qu’il allait le tirer au même endroit mais je n’ai pas eu le temps de réagir et de plonger du bon côté. Si j’avais mis main, je l’aurais arrêté. Il est venu me voir après son tir réussi en me disant qu’il me l’avait pourtant dit. Au 4e tir rennais, si André Betta marquait, nous étions qualifiés pour la finale. Mais, il a tiré sur le poteau. Immédiatement, je suis allé le voir en lui disant de ne pas s’inquiéter car en ratant ce tir au but, il venait de faire ma gloire ! Je lui ai dit : "tu vas voir comment je vais l’arrêter celui-là !". Dans la foulée, j’ai arrêté les tirs au but de Kula puis celui d’Hodoul. Et là, nous nous sommes qualifiés. C’était de la folie. Lors du centenaire du Stade Rennais FC en 2001, 30 ans après ce match donc, des spectateurs m’ont interpellé en me montrant quelles places ils occupaient lors de cette demi-finale. Aujourd’hui encore, tous les Bretons de ma génération que je rencontre, me parlent encore de ce match-là. C’était complètement dingue.


1er juin avril 1971 : Stade Rennais UC – Olympique de Marseille (2-1) : Marcel Aubour est porté en triomphe par la foule ayant envahi la pelouse après la qualification rennaise (source : L’Équipe).

La finale se joue contre l’Olympique Lyonnais (Ndlr : 20 juin 1971 – Stade Yves du Manoir de Colombes : Olympique Lyonnais – Stade Rennais FC (0-1)).

Durant mes saisons à l’Olympique Lyonnais, je partageais ma chambre avec Aimé Mignot, qui était l’entraîneur Lyonnais en 1971. Les Lyonnais sont passés totalement à côté de leur match. En finale, nous avons marqué trois buts, dont deux ont été refusés par les arbitres. Nous avons marqué le but décisif sur pénalty d’André Guy (63’). Jean Prouff ne voulait pas qu’il le tire car Chauveau avait joué avec lui à l’O.L. et le connaissait trop bien. Mais André a insisté pour le tirer. Il savait qu’il allait le tirer en force. Un pénalty, ça se tire en force. Comme cela, le gardien n’a pas le temps de bouger. A l’époque, il y avait une grosse épaisseur de chaux sur le point de pénalty. En frappant le ballon, la chaux, s’est élevée dans l’air. André Guy, qui était un garçon super, a dit qu’il avait manqué le tir, mais tu penses : il a mis une bombe à Chauveau. À la fin du match, les Bretons ont envahi le terrain du Stade de Colombes, c’était de la folie.


20 juin avril 1971 : Stade Rennais UC – Olympique Lyonnais (1-0) : Marcel Aubour porté une nouvelle fois en triomphe par la foule de Bretons ayant envahi la pelouse du Stade Yves du Manoir de Colombes après la victoire du Stade Rennais en Coupe de France.

"J’ai dû tirer dix artichauts, et dix fois, j’ai touché la barre !"

Comment est arrivé l’épisode des artichauts ?

Ça n’était pas du tout prévu. Mais au fil du match, l’arbitre nous refuse un but, puis un second. Les Bretons avaient amené des artichauts en tribunes et avaient commencé à les envoyer dans mes seize mètres. Il y en avait bien une vingtaine. Je me suis donc baissé pour en ramasser un et j’en ai lancé un sur mon but : en retombant, il a tapé la barre transversale. J’ai donc voulu réessayer et me suis amusé à les lancer en jouant à la Provençale en faisant trois pas. J’ai dû tirer dix artichauts, et dix fois, j’ai touché la barre ! Sur l’un de mes tirs, André Lecoq, grand photographe sportif de l’époque, m’a dit qu’il avait réussi à prendre la photo et que je ne devais plus la faire pour personne d’autre. D’autres photographes se sont approchés mais je leur ai dit que je ne la referai plus.


20 juin avril 1971 : Stade Rennais UC – Olympique Lyonnais (1-0) : Marcel Aubour jouant à la "Provençale" avec des artichauts pendant qu’en arrière-plan, les joueurs Rennais protestent auprès du corps arbitral après un second but refusé.

Comment s’est passé votre retour à Rennes ?

Après avoir pris le train à Montparnasse pour Rennes, nous nous arrêtions dans toutes les gares : il y avait plein de monde partout. L’arrivée en gare de Rennes a été fantastique. Le monde qu’il y avait, c’était infernal. Pour rejoindre la mairie, depuis la gare, nous étions installés sur un camion. Pour descendre l’avenue Janvier, nous avons mis plus de 2h. C’était bourré de monde. J’avais déjà gagné la Coupe de France avec l’OL Mais je ne pensais pas qu’il puisse y avoir autant de monde que ça.


21 juin avril 1971 : Le Stade Rennais UC parade Avenue Janvier avec la Coupe de France.

Après cette victoire, nous étions invités partout en Bretagne et dans les villes autour de Rennes. A Rennes, j’habitais à Vezin-le-Coquet, un petit village à trois kilomètres du Stade de la Route de Lorient. J’ai passé de bons moments là-bas. Quand je jouais, je prenais la Route de Lorient et je tirais presque directement tout droit pour arriver à la maison. Nous avions amené la Coupe de France à Vezin. Nous avions rigolé car Vezin, c’était un petit village. Avec le Capelan (Ndlr : le curé), nous lui avions dit que nous amènerions la Coupe à Vezin. Mais, il y avait un "c.." qui avait dit dans le journal que c’était un scandale d’avoir ramené la Coupe à Vezin. Les habitants avaient gueulé car nous l’avions amené pour faire plaisir aux "petits". Quand je suis revenu en 2001 pour le centenaire du club, j’ai demandé à y retourner. Tout avait changé. J’ai demandé à monter au clocher là-haut pour me repérer. Mon ancienne maison est désormais toute entourée. Quand j’y habitais, j’étais en pleine campagne avec des champs, des vaches. C’était sympa. André Betta habitait juste à côté de chez moi. Il allait au stade avec le Solex car il n’a jamais eu le permis.


27 juin avril 1971 : Les résidents Vezinois (Marcel Aubour et André Betta) apportent la Coupe de France à Vezin-le-Coquet.

Trois jours après la finale, vous rejouez de nouveau l’Olympique Lyonnais en championnat ?

Oui, et nous perdons (2-3) le mercredi suivant. Mais nous étions comme en vacances. Nous avions fêté la Coupe depuis 4 jours. Nous n’avions pas eu le temps de récupérer. En plus, c’était encore la même équipe qu’en finale quatre jours plus tôt.

La saison suivante, vous rencontrez les Glasgow Rangers en Coupe d’Europe. Comment s’est passée cette double confrontation ?

À l’aller, nous avons fait match nul (1-1) à Rennes et nous avons perdu au match retour là-bas (1-0). Nous avions encore quasiment la même équipe. Nous aurions pu nous renforcer mais nos recrues n’avaient rien apporté. Les Rangers étaient bons à prendre.

Finalement, vous terminez 11e au terme de votre seconde saison pleine ? C’est une saison en dent de scie ?

Le Stade Rennais avait acheté deux joueurs Yougoslaves qui n’étaient pas top : Sokrat Mojsov et Zdenko Kobescak. Nous nous demandions d’où ils sortaient. Jean Rohou était venu me demander ce que j’en pensais. Ça n’était pas mon rôle de lui dire de ne pas les prendre. Il les a fait signer mais ils n’ont pas été bons tout au long de l’année. Il y avait 50 millions d’anciens francs en caisse, ce qui était beaucoup de sous à l’époque : nous aurions pu avoir des recrues d’un autre calibre.

"Mon père est monté de Saint-Tropez pour me dire qu’il fallait que j’arrête le ballon"

À la fin de la saison 1971/1972, pourquoi quittes-tu le Stade Rennais pour rejoindre le Stade de Reims ?

Il s’est passé plein de choses à cette intersaison. Je suis passé pour un con. J’arrivais à la fin de mon contrat de deux ans avec le Stade Rennais. Au même moment, mon père est monté de Saint-Tropez pour me dire qu’il fallait que j’arrête le ballon car il avait un cancer. Il m’a demandé de venir travailler avec mes sœurs pour reprendre l’hôtel-restaurant familial à Saint-Tropez. Je suis donc allé voir Jean Prouff en lui disant que j’allais arrêter le foot car je devais me rapprocher de mon père qui était gravement malade. J’ai alors pris la route et quand je suis arrivé à Saint-Tropez, eh bé, mon père s’était refait la santé. Oh peuchère ! J’ai rappelé les dirigeants rennais en leur disant que j’étais ok pour resigner. Mais il était trop tard. Jean-Paul Escale venait de signer. Jean-Paul venait aussi de reprendre ma maison à Vezin-le-Coquet. J’étais comme un con. Heureusement, entre temps, le Stade de Reims me voulait et j’ai signé là-bas. J’y ai finalement fini ma carrière en 1977 après cinq ans là-haut. Je suis ensuite rentré au pays, à Saint-Tropez : j’avais 38 ans. J’ai repris l’hôtel familial avec ma soeur pendant quinze ans.

Comment s’est passé ton premier retour avec le Stade de Reims au Stade de la Route de Lorient ?

Purée, quel accueil houleux j’ai eu ! Les gens m’en voulaient d’être parti en disant que j’arrêtais le football, et de me retrouver sur le terrain avec un autre maillot quelques semaines plus tard. Nous avions fait (0-0). Mais que pouvais-je dire ? Les gens ne comprenaient pas et ne connaissaient pas toute l’histoire. Je ne pouvais pas prendre le micro avant le match et expliquer que mon père m’avait demandé arrêter. En jouant à Reims, je me suis retrouvé à jouer avec André Betta, Robert Rico et moi-même, que des anciens Rennais de 1971.


20 septembre 1971 : La presse raconte l’accuei glaciall reçu Route de Lorient par Marcel Aubour.

Durant ta carrière de joueur, quels sont les joueurs du Stade Rennais qui t’ont semblé supérieurs ?

Pierrick Hiard, était encore jeune mais était déjà un très bon gardien. En défense, je trouvais que Zygmunt Chlosta et Louis Cardiet étaient très forts. Au milieu de terrain, Raymond Kéruzoré était très bon. Mais il y avait aussi un garçon qui était très utile parce qu’on a toujours besoin d’un joueur comme ça, c’était Pierre Garcia. Tout le monde le sifflait, mais heureusement qu’il était là. Il courait pour dix. D’ailleurs, c’est grâce à Pierre Garcia que Velimir Naumovic et Raymond Kéruzoré pouvaient s’exprimer. Devant, j’aimais bien André Betta. Serge Lenoir avait beaucoup de qualité mais a surtout explosé après, avec le Sporting Club de Bastia. Le proverbe dit "le Charbonnier n’est pas maître chez lui".

À Rennes, tu étais considéré comme le roi des pénaltys (plus de dix arrêtés). Quelles qualités pensais-tu avoir pour être aussi efficace ?

Sur les pénaltys, j’avais une grande confiance en moi. J’en ai arrêté un paquet dans tous les clubs où je suis passé. J’arrivais à déstabiliser un peu le tireur. Sur un pénalty raté, nous entendons souvent que c’est le tireur qui a mal tiré. Mais en fait, c’est le gardien qui l’a bien arrêté. J’ai toujours dit qu’il valait mieux être gardien de but que tireur de pénalty car personne n’engueule un gardien quand il a encaissé un pénalty. On dit toujours, le tireur l’a manqué. Arrêter un pénalty pour moi, c’est anticiper. Mais il y a aussi beaucoup d’instinct.

"Rennes, c’était un village"

As-tu des regrets sur ta carrière ?

À Rennes, Jean Prouff s’occupait de l’entraînement et René Cédolin s’occupait du physique. C’était comme ça dans tous les clubs à l’époque. J’ai joué 17 ans et je n’ai jamais eu un entraînement spécifique pour gardien de but. Cela n’existait pas. Cela m’a beaucoup manqué. Je pense, que si j’avais eu cela, j’aurais été encore meilleur que ce que j’ai pu faire. J’ai réalisé ma carrière sur mes acquis. La seule année où j’ai eu l’impression de progresser, c’est quand Pierre Flamion, entraîneur du Stade de Reims, n’arrêtait pas de faire des entraînements en demandant de tirer au but. Je dois reconnaître qu’avec ma grande gueule, je parlais beaucoup. D’autres sont timides. Et moi, j’ai beaucoup joué sur ça.

Quelle était l’ambiance au Parc des Sports de la Route de Lorient ?

À Rennes, l’ambiance était spéciale. Les gens aimaient le ballon, aimaient le club. Par rapport à Lyon, à Nice et à Reims, ça n’était pas la même chose. Rennes, c’était un village. Le club appartenait aux gens. Ils nous encourageaient à l’époque. Honnêtement, c’était top.

Pourquoi avoir écrit un livre en 1972 ?

Francis Huget, un journaliste qui travaillait à France Soir, comptait faire un livre sur le futur doublé de Marseille en Coupe/Championnat 1971. Le soir de la demi-finale, il m’a dit que je lui avais fait perdre des sous en éliminant l’OM. Je lui ai alors répondu qu’il devrait faire un livre sur moi. Et il l’a fait. Il s’est débrouillé pour se faire sponsoriser par "Saint-Clair". Je n’ai pas sorti un rond. Il en fait imprimer une tonne (20.000) et il a tout fait livrer chez moi à Vezin-le-Coquet. Quand je suis arrivé en fin de contrat à Rennes en début d’été 1972, je suis parti avec Ouest-France faire la tournée des plages pour faire sa promotion. Nous sommes partis de Normandie et nous avons fini à Carnac.


28 juin 1972 : Marcel Aubour en pleine promotion de son livre "Moi, Le Breton"

Suivez-vous toujours les résultats du Stade Rennais aujourd'hui ?

Je suis les résultats de tous les clubs dans lesquels j’ai joué : l’Olympique Lyonnais, le Stade Rennais, le Stade de Reims et un peu moins l’OGC Nice.

Que dirais-tu pour conclure ?

Je n’ai que des bons souvenirs à Rennes. J’ai toujours été très heureux dans ce milieu du football.


Marcel Aubour chez lui à côté de Saint-Tropez.

Fiche de Marcel AUBOUR

Merci à lui pour ce témoignage.


Entrevue réalisée par mattcharp